INGLES,ITALIANO,FRANCES Y ALEMAN

lunes, 4 de marzo de 2013

histoire de la démocratie chrétienne

Dans De l’indignation à l’engagement, Jacques Barrot, membre du Conseil Constitutionnel et ancien commissaire européen, se pose la question de la descendance, ou plutôt de l’absence de descendance, de l’humanisme chrétien. Cet ouvrage est pour lui l’occasion de revenir sur son parcours, sur ses convictions et sur son engagement. Un livre qui peut donc tout aussi bien se lire comme des mémoires que comme un essai.

 histoire de la démocratie chrétienne

La première partie est consacrée à l’histoire de cet humanisme chrétien et à ses sources. Sa naissance date de la troisième république et du ralliement au nouveau régime menée par Léon XIII à partir des années 1880. L’humanisme chrétien trouve en effet son origine dans la progressive acclimatation des Chrétiens – entendus ici au sens de catholiques – à la République. On pourra au passage remarquer le parti pris, historiquement défendable, de ne pas revenir aux sources du libéralisme catholique, illustrées par Charles de Montalembert ou Henri Lacordaire par exemple.
L’ouvrage fait état des débats longs et difficiles entre les partisans d’un catholicisme libéral et moderne, et ceux d’un catholicisme de combat, fermé sur lui-même. La condamnation de l’Action française en 1926 par le pape Pie XI marque à cet égard une étape importante. L’affrontement sera également marqué par des personnalités telles que Marc Sangnier, fondateur du Sillon et du mouvement des Auberges de jeunesse, ou Jacques Maritain, philosophe qui théorisa la distinction entre « agir en tant que chrétien » et « agir en chrétien » Selon la première option, il s’agit pour le fidèle de se définir dans le champ politique comme uniquement chrétien. Dans le deuxième cas, on conduira une action politique en se définissant comme un citoyen guidé par des valeurs chrétiennes [1]. Enfin, le rôle qu’ont joué les humanistes chrétiens dans la construction européenne, sur le plan des idées comme de l’action, est rappelé avec justesse.
De grandes figures historiques
Dans une deuxième partie, l’auteur nous fait connaître quatre figures de la démocratie chrétienne, anciens résistants qui ont marqué la vie politique de l’après-guerre, au MRP [2] ou ailleurs : Germaine Poinso-Chapuis, Eugène Claudius-Petit, André Diligent et Joseph Fontanet. Jacques Barrot fait entrer ces personnalités dans son panthéon notamment pour leur sens profond du dialogue – social, politique et spirituel – mais aussi pour leur fidélité intransigeante à leurs valeurs. L’auteur établit une continuité dans leur parcours. Les démocrates chrétiens sont ainsi les enfants du renouveau associatif et institutionnel de l’entre-deux-guerres [3]. Mais l’expérience du maquis marque pour eux un tournant décisif dans la vie des hommes et des femmes qui y ont pris part. Elle constitue un creuset où se fixent leurs idéaux mais aussi leurs comportements pratiques, guidés par le message chrétien.
Un consensus peut-il être intransigeant ?
Dans une dernière partie sont proposées des solutions pour répondre aux défis soulevés par la crise actuelle dans ses dimensions économique mais aussi sociale et politique. Les propositions de l’auteur peuvent laisser sceptique. Ainsi de la proposition de « revaloriser l’Europe ». S’il peut paraître indispensable pour lutter contre la crise, le remède est proposé par un si grand nombre de personnalités que, sans contenu précis, il ne semble guère original. Il en va de même de l’appel de l’auteur à donner davantage de sens et de cohérence à l’action politique. Certes indispensable, cette requête prend dans l’ouvrage la forme d’un vœu pieu. Elle porte la marque de l’angélisme qui, trop souvent, oblitère le jugement des citoyens catholiques.
De même, si l’on ne peut qu’acquiescer aux prises de position de l’auteur en faveur de l’innovation, de l’instruction publique et, d’une manière plus générale, de la croissance, les solutions pour y parvenir paraissent floues. De manière générale, cette partie programmatique se caractérise par la volonté scrupuleuse de maintenir l’équilibre entre une certaine rigueur budgétaire et un niveau minimal de prestations sociales. Le risque d’un tel projet est l’affadissement qui, faute de choix véritable, conduit à manquer l’ensemble des objectifs poursuivis.
En définitive, Jacques Barrot nous livre un aperçu intéressant des idéaux humanistes chrétiens  qui ont inspiré avant lui et continueront d’inspirer de nombreux responsables politiques. Il expose de manière didactique son histoire, ses références intellectuelles majeures, ses figures tutélaires et son rapport à l’Eglise, nous permettant, au fil des pages, de découvrir l’image d’un catholicisme aux prises avec le monde, ne se contentant pas d’exploiter l’indignation mais cherchant à trouver des solutions et à les mettre en application. Toutefois, l’articulation entre les idéaux chrétiens d’une part, le libéralisme, l’Europe et la mondialisation d’autre part, n’est pas évidente, faute d’un discours clair et concret. La lecture de cet ouvrage, entre témoignage et l’essai historique, n’en demeure pas moins passionnante.

Humanisme et libéralisme

Humanisme et libéralisme

Le libéralisme politique est une conception philosophique considérant que le rôle du politique est la préservation de la liberté individuelle, comprise comme la possibilité d’agir selon ses préférences personnelles en étant préservé de toute interférence des autres personnes. Cette liberté n’est restreinte que par une limite externe : l’égale liberté des autres individus. L’État est l’instrument dont se dote la société afin d’assurer cette coexistence des libertés individuelles : il garantit que « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». L’État libéral doit ainsi se préoccuper du juste, c’est-à-dire d’une équitable répartition des ressources (économiques, sociales, culturelles…), mais non du bien, c’est-à-dire des valeurs qui guident ce que les individus font de la part des ressources qui leur revient.
Contrairement à une idée reçue, le libéralisme politique est compatible avec une régulation importante de l’économie par l’État. Cette régulation se justifie principalement en raison des nombreuses « imperfections » des marchés économiques réels (déficit de concurrence, « externalités », environnementales notamment…), bien éloignés des conditions de la concurrence pure et parfaite de la théorie économique classique. La référence au libéralisme politique ne concerne donc pas spécifiquement les partis politiques dits libéraux et défendant une économie de marché peu régulée. John Rawls, figure centrale du libéralisme contemporain [2], se concevait d’ailleurs comme un penseur de gauche. Le libéralisme de gauche se distinguera néanmoins du socialisme par son attachement à la propriété privé des moyens de production – les privatisations des deux dernières décennies réalisées souvent par des partis socialistes sont ainsi un des signes de leur conversion, au moins partielle, au libéralisme de gauche –, par sa volonté d’encadrer le marché plutôt que de s’y substituer – l’abandon du contrôle des prix est un autre signe de cette conversion [3] –, par le renoncement à la rhétorique de la lutte des classes au profit de celle de l’émancipation individuelle – d’où l’attention accordée à des discriminations comme celles liées à l’orientation sexuelle –, par sa conception de l’État social – le passage du modèle de l’État-providence à celui de l’État social actif est exemplaire sur ce point.
Ce libéralisme politique est porté par un idéal émancipateur que l’on ne peut que partager : vouloir permettre à chacun de poursuivre sa propre conception du bien. Il a incontestablement été une source de progrès social indéniable dans une société dominée par la tradition et le conformisme social. Mais il est également l’une des sources de la crise actuelle en raison d’un point commun à ses expressions de gauche comme de droite : la légitimation par l’individualisme libéral de la recherche de la seule satisfaction de leurs préférences personnelles. La dérégulation est, en effet, un processus moral avant d’être économique et financier. La crise démontre que lorsque les individus agissent sur base de leurs seuls intérêts immédiats, le concert des intérêts particuliers ne peut être durablement conforme à l’intérêt général.
Le libéralisme de gauche se contente de souhaiter que le système économique et financier soit fortement régulé par l’État. Cela revient à vouloir substituer la main de fer de l’État à la main invisible du marché sans remettre en cause la logique de l’individualisme libéral. Certes, l’État doit créer un cadre réglementaire et mettre en place des incitants pour modifier la gouvernance des banques et entreprises, mais l’enjeu principal est dans la tête de chacun d’entre nous et dans nos comportements quotidiens. Nous devons prendre conscience que la crise actuelle est aussi une crise de valeurs et que nous avons tous été, à un degré ou à un autre, contaminés par l’idéologie libérale.
Une lecture humaniste de la crise voit donc en celle-ci la démonstration de la faillite d’un système de valeurs qui invite les individus à agir sur base de leur seul intérêt immédiat. Elle en déduit la nécessité de rompre avec l’individualisme libéral pour lequel la seule limite à la liberté individuelle est externe à celle-ci (la liberté des autres). L’humanisme lui oppose une conception de la liberté comme autonomie, inspirée de Kant, selon laquelle la liberté, outre sa limite externe, reçoit également une limitation interne : la volonté d’agir conformément à ce que l’on estime bien en fonction d’une morale universelle et non seulement selon ses intérêts personnels. Qu’il existe ou non une telle morale universelle, que les devoirs et obligations qui en découlent soient ou non connus, n’est pas ici pertinent. Ce qui importe, c’est la volonté de l’individu de se conformer à l’idée d’une telle morale et d’adopter des comportements qu’il juge compatible avec celle-ci. Le point de rupture avec l’individualisme réside donc dans l’indissociabilité de l’exercice de la liberté et du sentiment de responsabilité de l’individu vis-à-vis des autres membres de la société. À la compréhension libérale de la responsabilité exigeant de l’individu qu’il assume les conséquences de ses actes et prenne en charge son bien-être individuel, est opposée une conception de la responsabilité sociale – celle des entreprises par exemple – consistant dans la volonté de contribuer au bien commun [4].

Humanisme et socialisme

La spécificité du projet politique humaniste est ainsi de vouloir procéder à un dépassement du libéralisme, sans pour autant justifier un retour au socialisme. Il y a en effet au fondement du socialisme, chez Marx tout particulièrement, un déterminisme socioéconomique qui déresponsabilise les personnes – toute inégalité étant ultimement le fait de déterminants socio-économiques, les personnes ne sont pas responsables de leurs actes – et entre en opposition avec l’idéal humaniste. Ce sont d’ailleurs des éléments de la doctrine socialiste avec lesquelles les socialistes modernes s’efforcent de prendre des distances et qui expliquent pourquoi, privilégiant l’idéal émancipateur présent également chez Marx, ils paraissent s’être convertit à une forme de libéralisme de gauche dont ils partagent dès lors l’individualisme moral.
C’est, cependant, avant tout la conception du rôle de l’État qui distingue l’humanisme du socialisme. L’humanisme ne croit pas plus à la main de fer de l’État qu’à la main invisible du marché. Le politique peut susciter un changement de société, mais seuls les citoyens peuvent le réaliser. L’État n’a pas le monopole de la responsabilité de la gestion collective – à l’heure de la mondialisation, il n’en a d’ailleurs plus les moyens. L’État doit être un stratège promouvant des objectifs de long terme, un régulateur agissant sur l’environnement physique, économique…, au sein duquel se développent les initiatives privées, qu’il doit aussi soutenir. Il doit enfin favoriser la coordination entre les acteurs individuels afin de rendre possible une action collective, notamment en fournissant des services et des biens publics afin, entre autres, de casser les situations d’oligopoles, voire de quasi-monopoles, privés auxquelles conduisent naturellement les mécanismes de marché. L’État doit aussi soutenir les initiatives privées.
Ce rôle de soutien, d’accompagnement, doit apparaître de manière privilégiée au niveau de la sécurité sociale. Le rôle du système social ne se restreint pas à fournir des revenus de substitution aux personnes exclues des sphères d’activités. Un système social principalement assistantiel ne favorise pas l’émancipation des allocataires sociaux et méconnaît le lien indéfectible entre solidarité et responsabilité. Sur ce point, l’humanisme s’avère bien plus proche du libéralisme de gauche que du socialisme. Toutefois, c’est encore dans la manière dont il va comprendre la notion de responsabilité que sa spécificité va s’affirmer. Pour l’humanisme, le fondement de la responsabilité est l’irréductible interdépendance entre les personnes : c’est parce que nous sommes des personnes interagissant continuellement que nous devons agir de manière responsable. La solidarité n’est pas subordonnée à la responsabilité, elles naissent l’une et l’autre de notre appartenance à une même société et sont, à ce titre, inconditionnelles. Placer le concept de responsabilité au centre du modèle social ne signifie pas, dès lors, conditionner la protection sociale à l’absence de possibilité d’imputer la cause d’une situation présente à des comportements passés, mais inciter chacun à agir en prenant conscience de l’incidence future de ses actes sur les autres. La responsabilisation ne s’exprime pas par la menace ou la sanction, mais dans l’accompagnement et l’éducation.

Humanisme et écologie

L’humanisme ne peut que donner raison aux écologistes lorsqu’ils estiment que la crise économique illustre l’absurdité d’un modèle de développement basé sur une croissance infinie dans un monde fini. Il les rejoint dans la dénonciation d’un développement économique qui semble aujourd’hui être devenu sa propre fin. Un modèle de développement plus humain est incontestablement un modèle de développement plus durable, mais il ne s’y réduit pas. Il est indispensable d’internaliser, notamment au moyen de la fiscalité, les coûts environnementaux qui aujourd’hui n’apparaissent pas dans la formation des prix. Il est indispensable de repenser nos modes de production et de consommation d’énergie. Mais il est également crucial d’évaluer l’apport social, sans commune mesure avec leur valeur marchande, des services aux personnes, souvent informels ou bénévoles, dont l’importance ne pourra que croître avec le vieillissement de la population. On ne pourra pas non plus faire l’impasse d’une réflexion collective sur la finalité de notre consommation matérielle et sur la place qu’occupe dans notre mode de production la création de biens non matériels, notamment l’enseignement et la formation.
L’humanisme est, par contre, en contradiction directe avec les formes les plus radicales de l’écologie. Il n’est pas possible de se revendiquer de l’humanisme et de renoncer aux idéaux de progrès et de développement. Il n’est pas possible de se revendiquer de l’humanisme et de vouloir assigner à l’homme le respect d’un ordre écologique qui le dépasserait. Les humanistes n’ont, à vrai dire, pas plus confiance dans la « main invisible » de la nature que dans celle du marché ou que dans la main de fer de l’État.
L’humanisme s’enracine dans le projet moderne d’une transformation de la nature afin de favoriser l’accomplissement de l’homme, mais exige de prendre conscience que toute transformation de la nature présuppose l’existence de celle-ci et implique le respect des conditions de sa reproduction. Ce n’est pas au nom de la nature en tant que telle, mais des hommes et des femmes qui doivent vivre en son sein qu’il importe de se préoccuper du réchauffement climatique, de la prolifération nucléaire ou des développements de l’agriculture génétiquement modifiée. La crise, d’ailleurs, illustre combien ce sont les personnes les plus fragilisées qui supportent le coût de la décroissance souhaitée par certains écologistes. Ce que le défi environnemental démontre aujourd’hui, ce n’est pas la nécessité de renoncer à toute forme de croissance, mais celle de revoir notre mode de développement.
L’humanisme est, également, en désaccord avec le libéralisme moral promu par certains courants écologiques. Ceux-ci prônent l’épanouissement de l’homme, compris comme un processus naturel qui se réalise spontanément s’il est préservé des contraintes extérieures. Cette foi dans la nature humaine rejoint ici la conception libérale de la liberté, réduisant l’idéal d’émancipation à la seule déconstruction des normes (sociales, culturelles…) qui restreindraient l’épanouissement individuel. Pour l’humanisme, l’émancipation recherchée est une émancipation par rapport à une nature humaine qui est perçue comme n’étant ni intrinsèquement positive ou négative, mais comme devant être éduquée par notre conscience afin d’en réaliser les potentialités que l’on juge les meilleures.

Autonomie collective

La volonté de qualifier un projet politique d’humaniste est souvent décriée sous prétexte que l’humanisme est une valeur partagée par l’ensemble des partis démocratiques. L’objection peut être acceptée si on définit simplement l’humanisme comme la volonté de faire des hommes et des femmes la finalité de l’action politique. Mais cette objection vaut alors pour tous les courants politiques : aucun n’a le monopole de la promotion de la liberté, des préoccupations sociales ou de la défense de l’environnement.
La référence à l’humanisme est ici entendue en un sens spécifique. Elle renvoie à l’idéal philosophique humaniste tel qu’il s’est développé à partir de la Renaissance, et qui consacre la liberté de l’Homme par sa capacité à justifier par lui-même la légitimité des lois, scientifiques, morales et politiques, auxquels il est soumis.
Si d’Erasme à Maritain, l’humanisme chrétien a été une des traditions de la pensée humaniste, le passage d’une doctrine sociale-chrétienne à l’humanisme démocratique reflète une volonté de s’ouvrir à tous ceux qui partagent une exigence de dépassement et d’éducation de soi. Face à un certain « laisser-être » matérialiste et individualiste, il importe en définitive peu que la transcendance à laquelle on aspire corresponde aux principes du christianisme, de l’islam ou de l’athéisme rationaliste… L’important est d’opposer au relativisme et à l’individualisme une même conviction de l’existence de valeurs universelles, doublée d’une conscience critique de la faillibilité de toute prétention à la vérité. Le passage à l’humanisme démocratique s’accompagne cependant d’une modification du critère de légitimité de détermination des rôles sociaux et des valeurs collectives : il ne s’agit plus de la référence chrétienne, mais du débat démocratique, en tant que celui-ci institutionnalise l’exercice collectif de la raison. L’humanisme démocratique se caractérise par un « constructivisme » : les valeurs que la société se donne ne sont jamais définies a priori par une tradition qui s’imposerait aux hommes, mais sont débattues et choisies volontairement. Ce primat de l’autonomie collective fait de l’humanisme démocratique un projet résolument progressiste, là où la référence à une tradition religieuse pouvait favoriser un conservatisme.
L’humanisme démocratique s’inscrit donc dans l’héritage de la démocratie chrétienne, mais en s’en émancipant. Au XXIe siècle, le clivage philosophique n’épouse plus la distinction chrétien – laïque, mais oppose ceux qui conçoivent une société comme devant être portée par la recherche d’un projet commun et des valeurs partagées, et ceux qui ne voient en elle qu’un lieu de coexistence entre des individus.

L'HUMANISME CHRÉTIEN

L'HUMANISME CHRÉTIEN

Le Mot humanisme est assez récent, puisqu'il n'est entré au Littré qu'en 1880. Il a d'abord désigné le mouvement de pensée de la Renaissance, qui entendait renouer avec la pensée antique par l'étude des auteurs grecs et latins : ce que l'on appelait alors les humanités. Nous avons vu que cette pensée de la Renaissance, a donné le jour à un courant philosophique orienté vers l'émancipation de l'être humain, qui s'est concrétisé au siècle des Lumières et dans la Révolution française. Le sens du mot, avec le temps, devint de plus en plus vague ; à la fin du 19e siècle il recouvrait finalement un appel en faveur de la dignité humaine. Après la 2e Guerre Mondiale, les philosophes en firent un mot à la mode et on parla alors d'humanisme marxiste et, entre autres, d'humanisme chrétien ; des notions qui n'impliquaient guère que le refus d'une société considérée comme inhumaine.
L'humanisme fut alors revendiqué comme chrétien dans ses origines. Les intellectuels de la Renaissance, en Italie d'abord puis dans toute l'Europe, étaient en effet presque tous des religieux appartenant à l'Église ; néanmoins, ils se pensaient eux-mêmes et pensaient l'homme et le monde, en termes de rupture et non de continuité. Ce qui n'empêcha pas les philosophes chrétiens de se référer volontiers à ce que l'humanisme devrait aux mystiques allemands du 15e siècle, aux penseurs de l'école de Paris du 14e siècle et à la pensée d'un 13e siècle au cours duquel la croyance au Saint-Esprit s'est affirmée, plaçant tous les savoirs sous le regard de Dieu.
Pic de la Mirandole, avec son discours intitulé « De la Dignité de l'Homme » proposait en quelque sorte une charte de l'humanisme. S'agissait-il d'humanisme chrétien ? D'Érasme, qui en 1503 définissait avec audace une réforme catholique libérale, fondée sur l'imitation du Christ et préférant la religion intérieure aux marques extérieures de la foi, on a pu dire qu'il définissait un humanisme chrétien. Thomas More, que l'Église a sanctifié, a été présenté comme illustrant par sa vie et son œuvre, « les angoisses et les échecs, les dilemmes et les grandeurs, la parabole entière de l'humanisme chrétien[1] ». De Guillaume Budé, il a été dit aussi qu'on lui doit la réflexion la plus aiguë jamais conduite sur le fragile et aléatoire équilibre qu'implique l'humanisme chrétien. On a présenté en outre l'humanisme chrétien comme illustré par l'œuvre picturale du Caravage, lui-même classé comme humaniste, chrétien et tragique[2], son œuvre faisant le récit de l'incarnation de Dieu dans l'histoire, du Christ dans l'humanité souffrante, de l'âme éprise de lumière enfermée dans l'opacité du monde matériel. Il exprime une religiosité affective, une tradition qui voit l'incarnation de la forme idéelle dans la nature sensible, cela par un recours à l'expression du quotidien humain, ce que l'on a pu comparer à l'émancipation des langues vulgaires par rapport au latin.
Melanchton, un ami de Luther, voulait au départ allier la Réforme avec l'humanisme chrétien. Mais par la suite il s'écartait de toute conception humaniste. Face à la foi individuelle il affirmait la discipline morale, et face à la liberté évangélique le pouvoir étatique ; il soulignait l'importance de la tradition patristique et il légitimait l'ordre ainsi que le pouvoir des autorités. Jeune il avait contesté les structures existantes, mais il était devenu ensuite un luthérien conservateur.
C'est au 19e siècle qu'un mouvement de pensée se dessina pour revendiquer au nom du christianisme la pensée humaniste, quitte à laisser la définition de cette notion d'humanisme chrétien dans le vague. L'un des penseurs de cette tendance fut Charles Péguy (1873-1914). Il était un catholique pieux et un nationaliste dont la pensée politique était hantée par la crainte d'un socialisme autoritaire. Entré à l'École Normale Supérieure en 1894, il adhérait au socialisme en 1895. Son ouvrage sur « Jeanne d'Arc » parut en 1897, en même temps que « De la Cité socialiste » ; l'année suivante il publiait « Marcel, Premier dialogue de la Cité harmonieuse ». Il s'engagea dans la défense de Dreyfus ; il était alors le compagnon de Jaurès dont il se détacherait dès 1900. Il fonda à cette époque ses « Cahiers de la Quinzaine ». En 1905, après l'affaire de Tanger, il publiait « Notre Patrie ».
Dès 1900, il fit la redécouverte du christianisme avec « Athée de tous les dieux » qu'il complèterait en 1910 par « Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc », ouvrage salué par Barrès et Gide. Le christianisme de Péguy ne s'oppose pas à son socialisme ; au contraire il donne sens à son combat contre le mal universel. Sa Jeanne d'Arc fut tout de suite récupérée par l'Action française et les catholiques militants de la « Revue hebdomadaire ». Péguy opposait mystique et politique ; la mystique consistant à se dévouer pour la cause, la politique à s'en servir. Il manifesta son hostilité à la politique anticléricale de Combes. Il s'insurgeait contre les intellectuels et les politiques, Lavisse et Jaurès en particulier, accusés d'abandonner la défense de la France au nom d'un idéalisme pacifiste illusoire.
En 1911, Péguy publiait « Le Porche du mystère de la deuxième vertu » (l'Espérance) En 1912 il faisait son pèlerinage à Chartres et en 1913 il publiait « La Tapisserie de Notre-Dame » ; le 5septembre 1914 il était tué à la tête de sa section.
Péguy refusait la perspective d'« une république socialiste gouvernementale » et qu'une certaine conception de la laïcité fasse de l'athéisme « une métaphysique d'État ». Pour lui le christianisme avait perdu le sens des valeurs évangéliques, qu'il fallait lui rendre. Il approuva la séparation de l'Église et de l'État, qui rendrait à l'Église sa vertu, en l'obligeant à la pauvreté et à l'indépendance. Jésus étant venu dans le monde vivre la vie du monde, le christianisme se caractérise donc par l'interpénétration du temporel et du divin. La Passion du Christ donne sens à la mort et aux souffrances humaines ; l'Espérance conduit le monde. En somme la condition à la fois humaine et divine du Christ définit le modèle qui inspire l'humanisme chrétien.
Jacques Maritain, (1882- 1965) est considéré comme un penseur de l'humanisme catholique ; il parle d'un humanisme de la transcendance et de la dignité transcendante de l'homme à opposer à « un humanisme anthropocentrique refermé sur lui-même et excluant Dieu ». Ami de Charles Péguy, Maritain s'est intéressé à la philosophie de Bergson et à Saint-Thomas d'Aquin. Protestant à l'origine, il se fit baptiser en 1906 avec pour parrain Léon Bloy, un admirateur passionné de Maurras. Léon Bloy, dans la dernière décennie du 19e siècle, exerça une forte influence sur Jacques Maritain. Critique et polémiste violent, il fut aussi un romancier pour qui, tout dans le monde est image et « signifie » ; sa tentative est de « déchiffrer les signes », pour rendre sensible la présence du mystère.
Parmi les cinquante cinq ouvrages publiés par Maritain nous retiendrons : « De la philosophie chrétienne » en 1933, l'« Humanisme intégral » en 1936, « Court Traité de l'existence et de l'existant » en 1947 et « Carnet de notes » en 1965. Jacques Maritain est venu à l'Action française par le thomisme ; il devait rompre en 1926 avec Charles Maurras après sa condamnation par le pape.
Des penseurs comme Péguy, Léon Bloy et Maritain, alliaient leur conception chrétienne de l'humanisme avec des idées politiques ; ils furent proches de Maurras et de l'Action française elle-même constituée essentiellement par des catholiques militants, bien que Maurras lui-même fût agnostique.
Charles Maurras fut d'abord journaliste à la très royaliste « Gazette de France », puis à « L'Action Française ». Ses idées faisaient la synthèse du nationalisme avec la tradition contre-révolutionnaire des Maistre, Bonald et autres. On retrouve chez lui la critique implacable des principes de 1789, de l'universalité des droits et de la démocratie, ainsi que la volonté de fonder la politique sur les traditions léguées par l'histoire nationale. Il inventa la distinction entre pays légal et pays réel et il voulait restaurer la confiance dans les communautés naturelles que sont la famille, la région et le métier. Sous l'influence d'Auguste Comte, il croyait à « l'empirisme organisateur » et comme Taine, il voyait dans le jacobinisme « le chef-d'œuvre de la raison pure et de la déraison pratique ». Il s'opposait catégoriquement au nationalisme de Michelet, celui des soldats de l'An II et de Valmy. Pour lui, le vrai nationalisme ne pouvait être que royaliste.
Il influença des hommes comme Léon Daudet, Brasillach, Bernanos, Pierre Gaxotte, Jacques Maritain, Thierry Maulnier, Maurice Barrès, Henri Bordeaux, Jacques Bainville, Paul Bourget... Certains s'éloignèrent de lui après la publication du « Venin juif de l'Évangile » en raison de son antisémitisme raciste. Les adhérents et les lecteurs de la revue « L'Action Française » étaient essentiellement des catholiques pratiquants. Malgré la proclamation de son respect pour l'Église, son agnosticisme valut à Maurras en 1926 une condamnation de Rome.
Maurras plaça l'Action française au cœur des ligues antirépublicaines ; et le 6 février 1934, l'Action française et les Camelots du Roi étaient à la pointe de l'agitation antiparlementaire. Mais les hésitations de Maurras quant à l'exécution d'un coup de force, détournèrent par la suite de l'Action française ses compagnons les plus ardents, qui se tournèrent vers les Croix-de-Feu.
En 1934, Maurras était emprisonné pour avoir proféré des menaces de mort à l'encontre des parlementaires ayant voté des sanctions contre Mussolini à l'occasion de sa guerre d'Éthiopie. En 1937, la rupture avec le comte de Paris porta un nouveau coup à l'Action française qui perdit encore des adhérents. Cependant Maurras était reçu l'année suivante à l'Académie française, et en 1939, après ses articles sur la guerre d'Espagne Pie XII abrogeait la condamnation prononcée par son prédécesseur.
À la veille de la 2e Guerre Mondiale L'Action Française dénonçait la complicité de la République avec la « conspiration judéo-maçonnique ». Maurras attribuait l'effondrement de 1940 à soixante-dix ans de démocratie et proclamait : « Avec Pétain, nous sortirons du tunnel de 1789 ». Il accueillit avec enthousiasme la Révolution Nationale et la devise « Travail, Famille, Patrie ». L'Action Française continuerait de paraître jusqu'en août 1944, fulminant contre les gaullistes, les démocrates chrétiens, les juifs et les francs-maçons.
Arrêté en septembre 1944, Maurras fut condamné à perpétuité, cependant il poursuivit son œuvre politique publiant des ouvrages jusqu'en 1952, date de sa mort. Ses fidèles continuèrent avec persévérance à dénoncer les horreurs de la Résistance et les crimes de l'épuration, ils ne pardonnèrent jamais à de Gaulle la condamnation de Maurras.
Emmanuel Mounier[3] (1905-1950) consacra son premier essai, en 1931, à « La Pensée de Charles Péguy ». Convaincu, après la crise de 1929 que le monde allait à la catastrophe, il voulut procéder à une révision radicale de ses valeurs et de ses principes. Sa pensée, relayée par la revue « Esprit » qu'il avait fondée en 1932, prit le nom de « personnalisme communautaire ». Catholique fervent, Mounier s'indignait que le spirituel se soit solidarisé avec le « désordre établi ».
Il voulait « refaire la Renaissance », c'est-à-dire reconstruire un humanisme, intégrant les données de l'histoire et les sciences de l'homme, dont l'axe serait la personne. Sa thèse était que, par opposition à l'individu, la personne est engagée dès sa naissance dans une communauté. Alors que l'individu est l'élément d'une masse, la personne est un sujet créateur ouvert sur la transcendance. Par la négation de son individualité, la personne s'ouvre à sa communauté et à l'univers.
Mounier a mené une lutte constante contre « la liaison du spirituel et du réactionnaire », il a manifesté son opposition au franquisme et fait campagne pour une « laïcité pluraliste » à l'école. Au nom de l'« Évangile des pauvres », il a initié une contestation qui devait conduire à Vatican II. Il essaya de pousser les communistes à un « marxisme ouvert » : « Contre Marx nous affirmons qu'il n'y a de civilisation et de culture humaine que métaphysiquement orientées », disait-il. Il est mort en 1950 avant d'avoir achevé la construction de son personnalisme.
Scientifique reconnu, Teilhard de Chardin a professé un « trans-christianisme » avec son Christ cosmique, placé dans une perspective évolutionniste ; à ce titre il est considéré comme un maître de l'humanisme chrétien.
Philosophe de renom, Maurice Merleau-Ponty (1908-1961), qui a représenté un moment essentiel de la phénoménologie, n'a jamais renoncé à un anthropomorphisme philosophique. Mais pour lui, la phénoménologie, c'est d'abord le désaveu de la science. Dans « La Structure du comportement » il analyse la forme caractérisant le comportement humain qui, pour lui, est à décrire comme une manière de transcendance.
Romancier prolifique, Julien Green (1900-1998), peut aussi être qualifié d'humaniste chrétien. Américain né à Paris, il est un écrivain français qui n'a cessé de scruter dans ses ouvrages le mystère du mal et d'interroger sa puissance d'envoûtement. Après avoir renoncé un moment à la pratique religieuse, tout en conservant le besoin du divin, il fit son retour à l'Église en 1939. Il fut un ami de Maritain, mais refusa cependant toujours de s'engager aux côtés des écrivains catholiques. En 1983 il publiait « Frère François », une biographie détaillée de saint François d'Assise, l'homme qu'il avait toujours le plus admiré, disait-il.
Au total, l'humanisme chrétien se veut conforme à l'esprit de l'enseignement du Christ traduit par les Évangiles, il apparaît comme une attention bienveillante portée à la condition humaine et aux difficultés de l'homme pour maîtriser sa vie. Mais la philosophie de l'humanisme chrétien consiste surtout dans un inlassable effort pour passer, grâce à la Parole, à la fois logos divin et marque spécifique de l'homme, du visible à l'invisible, d'une religion de la lettre au pur christianisme « en esprit et en vérité » ; c'est-à-dire : à considérer que l'homme ayant le privilège de pouvoir entrer en communion d'esprit dans l'invisible avec l'Auteur de la Parole, il peut et doit trouver, « inspiré par la transcendance et dans l'Espérance », les voies du bien de l'humanité.
Or l'humanisme philosophique consiste à faire de l'homme un principe premier donnant sens et valeur à toute chose. Il a la prétention de tout ramener à la dimension humaine et à des valeurs universellement valables, pour tout être humain ; en cela il se donne une mission civilisatrice. L'humanisme est apparu au moment où l'homme a pris conscience des possibilités qu'il possède, de prendre en main son destin et d'assumer sa condition.
En toute rigueur, un humanisme philosophique ne peut être qu'indépendant de tout recours à la transcendance. Il faut choisir entre ces deux propositions : ou-bien « l'homme est la mesure de toute chose », ou-bien « la divinité est la mesure de toute chose ». L'idée qui consiste à faire de l'homme le relais en ce monde du pouvoir et de l'autorité d'une divinité transcendante, ne correspond pas du tout à la révolution humaniste, qui est avant tout une émancipation de l'homme. Car la Parole divine en effet, n'est jamais manifestée que dans l'imagination, quand ce n'est pas dans les commandements d'une autorité religieuse prétendant seule la détenir. On voit bien que les interprétations de la Parole par les religieux sont diverses et que d'autre part les religions tendent à subordonner la vie à des superstitions entrainant l'être humain à des comportements irrationnels, voire à des violences, contraires à la recherche d'une vie heureuse. En toute rigueur l'humanisme émancipateur doit considérer que si commandement de la divinité il y a, c'est à chaque individu d'en juger, pour lui-même, au fond de sa conscience. En conséquence la règle de vie commune, découlant d'une philosophie humaniste, se doit d'être indépendante de toute référence à autre chose que le bien de l'être humain et le bien de l'humanité, et notamment exclusive de tout rapport à quelque valeur transcendante que ce soit. Il ne peut pas y avoir d'humanisme chrétien, pas plus que d'humanisme musulman, juif, bouddhiste, hindouiste, scientologue, témoin de Jéhovah ou autre ; pas plus que d'humanisme athée ou marxiste... Il faut penser l'humanisme pour tous les humains, quelles que soient leurs diversités culturelles, comme une doctrine du vivre bien, ensemble et dans la paix.

Impôts et retraites (POR BERNARD DE BRUSLAUT)

Le débat public de cette présidentielle est absolument effroyable. Si on ne veut pas parler de la fusion de l'impôt sur le revenu et des huit contributions sociales qui permettraient aux plus pauvres de payer 1% et aux plus riches 60% sur la totalité de leurs revenus et non pas en stade extrême dans une logique d'escalier, on ne peut rien. Si on ne veut pas parler de la revalorisation des retraites de quinze millions d'électeurs et de millions d'invalides dont les revenus pour les nouveaux retraités ont été divisés par quatre par monsieur Balladur alors que apparemment aucun des cinq grands candidats avec Mélenchon n'acceptent d'aborder le sujet, il devient très difficile de rester intéressé par la politique de ce pays.