INGLES,ITALIANO,FRANCES Y ALEMAN

martes, 5 de marzo de 2013

IL Y A QUINZE MILLIONS DE RETRAITÉS EN FRANCE (POR BERNARD DE BRUSLAUT)

Il y a les régimes spéciaux de toute nature dont la retraite est calculée de façon favorable, pour beaucoup comme l'EDF sur les meilleures années de la carrière.

Pour ce qui concerne le régime général qui finance totalement les régimes spéciaux de retraite, alors monsieur Balladur, et ceci n'a pas fait l'objet de cinq colonnes à la une sur tous les journaux pendant un an comme il aurait fallu: on dit: "Oui, pour les plus vieux ce sera sur les trois meilleures années, pour les gens un peu plus jeunes ce sera les cinq meilleures annnées, et puis ensuite dix, quinze, vingt, vingt-cinq.

Ceci a abouti, pour les gens du régime général et non pas les privilégiées des régimes spéciaux auxquels on ne s'est attaqué que pour une année ou deux d'âge de retraite mais évidemment pas sur les privilèges hallucinants concernant le montant de la retraite, alors, pour les gens du régime général, pour la plupart dentre eux, la retraite a été divisée par quatre – pour beaucoup d'entre eux.

Ceci est un drame de société effroyable concernant quinze millions de personnes sauf les régimes spéciaux bien sûr, et c'est un des scandales les plus grands de la République qui défend les droits acquis et les engagements de l'Etat concernant les prestations et avantages des citoyens français. Personne n'en parle. Ceci est absolument pathétique, dramatique, surtout quand on voit qu'aucun des quatre grands candidats n'a osé aborder ce sujet incroyable, créé de toutes pièces par monsieur Balladur tout seul qui est arrivé à faire passer cette monstruosité de façon inaperçue.

Le mouvement réformé de reconstruction chrétienne

I
C'est à une révision radicale et totale de ses modes de vie, de pensée et d'action que le peuple de Dieu est appelé en cette fin du XXe siècle. Qu'ils soient orthodoxes-orientaux, catholiques-romains ou protestants, les conservateurs attachés à leurs traditions, qui ne sont trop souvent que des habitudes ou des routines plus ou moins anciennes, et les progressistes s'accrochant à des nouveautés, qui ne sont trop souvent que des reprises de vieilles erreurs sous de nouveaux masques, doivent s'examiner eux-mêmes et accepter d'être mis en question de façon vraiment critique non pas d'abord par les accusations plus ou moins sérieuses et fondées qu'ils s'adressent les uns aux autres mais par la Vérité sûre et certaine de la Parole de Dieu incarnée qu'est le Christ de la Sainte Ecriture, de la Parole de Dieu inspirée qu'est la Sainte Ecriture du Christ.
Depuis trois millénaires et demi, à chaque époque critique de son histoire, le peuple de Dieu - l'Eglise de l'ancienne disposition qu'était Israël puis l'Israël de la nouvelle disposition qu'est l'Eglise - n'a connu de vrai renouveau, de vraie re-formation, qu'en revenant cordialement à cette Parole toute proche qu'il ne tient contre lui que pour être tenu par elle. La fonction prophétique véritable, depuis Moïse jusqu'aujourd'hui, a toujours été et demeure, sous l'emprise souveraine du Saint Esprit, d'appeler le peuple le Dieu, lorsqu'il erre, à revenir à la Parole de Dieu, à se laisser juger et sauver par elle, à reconnaître sa pleine autorité, à se conformer à ce qu'elle dit. Pour l'amour de Dieu !
En ces années 80 qui commencent, tout le peuple de Dieu, en toutes "dénominations", est appelé à l'œuvre de re-formation, de restauration, de reconstruction, nécessaire. Au terme d'une longue période de sécularisation universelle qui, pour l'Eglise, a commencé par ses pasteurs et docteurs, a généralement été une période d'apostasie (de dérapage, d'éloignement, de révolte) par rapport à la Parole de Dieu, alors qu'au bout de faux-sens et de contre-sens nous en arrivons au non-sens, le temps est venu de confesser de nouveau, en paroles et en actes, avec une pleine conviction et dans une patiente et ferme espérance, que le Règne n'appartient pas au(x) prétendu(s) "prince(s) de ce monde", ni à l'homme se voulant dieu et reniant Dieu, mais au seul Seigneur Créateur et Rédempteur qui est éternellement : le Père, le Fils et le Saint Esprit.
Il faut ajouter et préciser que l'œuvre de re-formation, de restauration, de reconstruction chrétienne à laquelle, dans le monde entier, est appelé le peuple de Dieu n'est pas seulement celle de l'Eglise et de la théologie, encore qu'il faille, bien sûr, commencer par celle-ci. Puisque la Parole de Dieu est souveraine, elle doit être reconnue comme telle en tout et partout. Nul n'a le droit de restreindre l'étendue de son autorité. Notre Seigneur est Roi sur tous les domaines de l'univers et de l'existence. Et si la volonté apostate de sécularisation, œuvrant en tout et partout, a visé et vise à rejeter la souveraineté de Dieu jusque dans l'Eglise et la théologie, la volonté obéissante de christianisation, œuvrant en tout et partout, doit viser à ce que soit manifestée la souveraineté de Dieu jusqu'aux extrémités de l'univers et jusque dans la moindre parcelle de l'existence. La parole du Christ ressuscité à ses disciples est imprescriptible dans son affirmation, dans son commandement et dans sa promesse : "Toute autorité m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez. Faites de toutes les nations des disciples. Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici : Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde ".[1]
Il y a donc depuis la Chute[2] et plus encore depuis qu'est venu Jésus-Christ[3] antithèse, opposition, conflit spirituel universel et permanent[4] entre la Cité de ce siècle (Babel, Babylone ; de la Genèse à l'Apocalypse) qui, pour s'exalter orgueilleusement et stupidement elle-même, prétend s'arracher et tout arracher à la souveraineté de Dieu et de sa Parole, et la Cité de Dieu[5] (Salem, Jérusalem, la nouvelle Jérusalem ; de la Genèse à l'Apocalypse) qui, dans la foi, l'espérance et l'amour, se réjouit, dans la louange eucharistique, jusque sous la persécution, de la totale souveraineté de Dieu et de Sa Parole.
Notre Seigneur, par son Esprit agissant par et avec ce que dit - Parole de Dieu ! - la Sainte Ecriture, veut régner de telle manière efficace, particulière, intime, sur les siens qu'Il régénère, justifie, sanctifie et fait persévérer, que tout ce qu'ils pensent, tout ce qu'ils font, tout ce qu'ils sont ici-bas - dans l’Eglise comme dans l'Etat, dans le célibat comme dans le mariage, dans leur vie familiale et professionnelle comme dans leurs recherches philosophiques, scientifiques, artistiques ou techniques, bref : en toutes choses - soit pour la gloire de Dieu[6], dans un mouvement progressif, continuellement repris, de repentance et de foi obéissante et aimante. C'est dire que la Parole-Loi de Dieu, la Parole-Directives de Dieu, toujours reçue comme Evangile, comme Nouvelle de grâce, leur est en toutes choses lumière et règle puisqu'elle exprime la Morale et le Droit véritables pour toute l'existence, personnelle et sociale, des hommes.
Dans son essai magistral d'une philosophie chrétienne de l'histoire, le De Civitate Dei (composé de 412 à 426, peu après la prise de Rome - 410 - par les Goths d'Alaric), S. Augustin a su mettre en évidence ce terrible combat des deux Cités (celle de "ceux qui aiment Dieu jusqu'au mépris d'eux-mêmes" et celle de "ceux qui s'aiment eux-mêmes jusqu'au mépris de Dieu").
Par ce combat, le Dieu trinitaire souverain, conformément à son dessein éternel et immuable, démontre et déploie historiquement tout ensemble sa justice et sa miséricorde. Le moment initial de ce combat se situe dès après l'apostasie originelle du genre humain, avec Adam et Eve, en Eden. Le moment central et décisif de ce combat se situe en Palestine, dans les trois premières décennies de notre ère, qui est la dernière de l'histoire (contrairement à un lieu commun transitoire, il n'y a pas, et il n'y aura pas, d'ère ''post-chrétienne" !), lorsque le Fils éternel de Dieu, incarné, a vaincu une fois pour toutes l'Adversaire (très précisément : lors de ses tentations, de sa passion, de sa mort sur la croix, de sa résurrection corporelle). Pour les siens. A leur place. Pour leur salut. Le moment final de ce combat se situe lors du retour en gloire du même Jésus-Christ ; lors de la résurrection des morts et du jugement dernier. Dans les "derniers jours" où nous sommes, entre sa première Venue et sa Venue en gloire, notre Seigneur, présentement, "à la droite de Dieu", accorde aux siens, par l'Esprit qui procède du Père et qu'Il leur envoie, toutes les richesses intrinsèques de sa victoire, merveilleusement antécédente aux combats conséquents qu'ils doivent encore poursuivre[7]. Dans l'Eglise. Et en tous domaines. Jusqu'à ce qu'Il vienne.
 
II
Me bornant à l'essai d'une description du mouvement de reconstruction chrétienne au sein de la chrétienté réformée - dont je sais cependant les liens historico-spirituels qu'elle a eus, qu'elle a, et qu'elle doit garder et développer autant que faire légitimement se pourra, avec les autres chrétientés protestantes ainsi qu'avec les chrétientés catholique - romaine et orthodoxe-orientale - je commence en évoquant la figure de son précurseur, trop méconnu en dehors de sa patrie, les Pays-Bas : Guillaume Groen Van Prinsterer (1801-1876)[8].
Dans son ensemble, la chrétienté réformée européenne n'était plus alors "réformée" que par ses dénominations ecclésiastiques. Sauf en quelques-uns - Reste intrépidement fidèle du peuple de Dieu - il n'y avait plus de confession vivante, vécue, de la Foi re-formée selon la Parole de Dieu.
Les Lumières (I'AufkIärung) et la Révolution française, dans l'esprit de ses principaux meneurs, ne s'en étaient prises que secondairement à des abus et à des injustices criants ainsi qu'à la domination cléricalo-politique de Rome et à l'absolutisme des Bourbons. Ce qu'elles avaient attaqué et rejeté surtout et d'abord, c'était la vérité et l'autorité de la Révélation divine. A la place du Dieu trinitaire, Créateur et Sauveur, l'homme, absolutisé, est pour elles la norme suprême, le point central de référence. Si, au début du XIXe siècle, et avec le Romantisme, le motif de la personnalité (et du sentiment) allait prendre plus de poids que le motif de la science (et de la raison) - de même que, plus tard, le motif de l'homme individuel - c'était encore et toujours l'humanisme - la religion de l'homme, en place de la religion du Dieu vivant - qui restait à l'ordre du jour. Dans la chrétienté réformée européenne, l'alliage contre-nature, antinomique, du peu qu'elle voulait bien encore garder du discours biblique et de tout ce qu'elle entendait assumer de l'humanisme avait opéré, et continuait à opérer ses ravages. Groen, qui, à la fin de sa vie, caractérisera son éducation, tant familiale qu'ecclésiale, comme ayant été "libérale et chrétienne" (libérale d'abord !) était imprégné de cette atmosphère humaniste du temps.
A vingt-deux ans, brillant étudiant de l'Université de Leyde, Groen soutint deux thèses : l'une à la Faculté de Droit, l'autre à la Faculté des Lettres. Les rencontres qu'il eut à ce moment avec le poète calviniste Wilhelm Bilderdijk ( 1756-1831), auteur entre autres d'une épopée fantastique restée inachevée, De ondergang der eerste Wareld ("La fin du premier monde"), l'unique homme éminent des. Pays-Bas à s'opposer alors à l'esprit rationaliste et révolutionnaire qui était, jusque dans la Cour royale, "la puissance" dans l'air de l'époque, ne l'influencèrent guère (plus tard, après la mort de Bilderdijk et après sa "conversion", Groen profitera, dans une admiration spirituelle et non plus esthétique seulement, de l'œuvre du poète).
C'est alors que le Réveil, parti de Suisse pour s'étendre à toute une partie de l'Europe, atteignit les Pays-Bas. Ce Réveil reformateur avait commencé avec des étudiants de la Faculté de théologie protestante de Genève. Un ancien officier de marine écossais, Robert Haldane (1764-1842), qui avait démissionné, après s'être donné à Jésus-Christ et à sa Parole, pour devenir "évangéliste", passant à Genève, avait réuni ces étudiants, en février 1817, et lisait, étudiait, méditait avec eux l'Epître de S. Paul aux Romains[9]. Ce fut le début d'un Réveil. En mai de la même année - cela "marque" l'époque - la Vénérable Compagnie des pasteurs de Genève osa exiger des candidats au Saint Ministère la promesse de ne jamais prêcher sur la divinité de Jésus-Christ, le péché originel, l'efficacité de la grâce, et la prédestination ! Le Réveil n'allait pas moins se poursuivre - dans les Eglises "réformées" ou hors d'elles, peu importe - avec de fidèles ministres de la Parole de Dieu comme Henri Merle d'Aubigné, Frédéric Monod, Louis Gaussen et César Malan.
En 1822, un Juif d'Amsterdam, Isaac Da Costa (1798-1860), juriste, savant philologue et surtout poète, disciple et ami de Bilderdijk, demandait le baptême, et, en 1823, par la publication de ses Bezwaren tegen de Geest der Eeuw ("Objections contre l'esprit du siècle"), qui émurent Groen, prenait la tête du Réveil aux Pays-Bas. Des journaux "humanisto-chrétiens" n'hésitèrent pas à traiter Da Costa (pensez donc : un Juif !) de "canaille" et de "singe de l'enragé Bilderdijk".
En 1827, Groen fut nommé Référendaire, puis en 1829 Secrétaire, du Cabinet du Roi ("dînant chaque jour avec la Révolution" put-on dire). Mais son mariage, en 1828, avec une fervente réformée confessante (il y en avait quand même ! ), Elisabeth van der Hoop, puis ses rencontres, à Bruxelles, avec Merle d'Aubigné, qui fut tout ensemble un savant historien -à preuve son Histoire de la Réformation- et un prédicateur très simple du pur Evangile, l'introduisirent à cette Foi re-formée selon la Parole de Dieu à laquelle, enfin, il se rangea de tout son cœur.
A partir du début des années Trente, Groen va approfondir, proclamer et défendre cette Foi qu'il a enfin trouvée (qui l'a enfin trouvé).
Le propre du Réveil réformé (celui, aux Pays-Bas, de Bilderdijk, de Da Costa, de Groen, pour commencer), c'est qu'il se distingue du Réveil "piétiste" par le caractère à la fois plus radical et plus ample de son esprit et de sa vision : plus radical par sa foi en la souveraineté et en l'efficacité de la grâce divine ; plus ample, parce que, s'il s'agit du salut personnel et éternel des hommes, il s'agit aussi du salut temporel de la culture, de la société et du Règne du Christ sur tous les domaines de la pensée et de l'existence.
C'est ainsi que Groen Van Prinsterer voulut être, consciemment et résolument, chrétien en son "cœur" d'abord, mais aussi historien chrétien, journaliste chrétien et homme politique chrétien.
De plus en plus, Groen comprend et fait connaître que le mal moderne, jusque dans l'Eglise, est "l'apostasie systématique" préparée par le rationalisme des Lumières et propagée par l'esprit de la Révolution. La lecture qu'il fait alors des Reflections on the Revolution in France, de l'Anglais Edmund Burke (1728-1797) le confirme dans la conviction qu'avant d'être politique la Révolution est un phénomène spirituel, religieux, d'apostasie qui doit être combattu dans ses principes mêmes. A l'esprit de la Révolution et à la devise : "Ni Dieu, ni Maître" doit être opposé l'esprit de la Réformation, l'esprit de la confession de la vraie Foi : "Jésus-Christ est le Seigneur".
Groen, à cause de sa faible santé, a dû démissionner, en 1833, de sa charge de Secrétaire du Cabinet royal pour accepter l'emploi d'Archiviste des papiers personnels de la Maison d'Orange-Nassau, emploi qui va lui laisser... les loisirs qu'il va studieusement et activement occuper. Si Groen, fidèle à sa charge, va publier au long des décennies la série des volumes d'Archives de la Maison d'Orange (couvrant la période de 1552 à 1688), historien il va publier aussi un fort Manuel sur l'histoire des Pays-Bas. Tant dans son introduction aux Archives que dans son Manuel, Groen n'a pas hésité à mettre en œuvre son principe re-formé de "la soumission inconditionnelle à la Loi que Dieu a révélée dans la Sainte Ecriture". Par là il mettait en cause la prétendue "neutralité" de la science historique. Ce qui provoquera évidemment de vives réactions. Sans empêcher, de la part d'excellents historiens, la reconnaissance du fait que Groen a été un pionnier de l'historiographie moderne.
Historien chrétien, Groen fut de même, à plusieurs reprises et, en particulier de 1869 jusqu'à sa mort en 1876, avec l'hebdomadaire Nederlandsche Gedachten ("Pensées néerlandaises") un journaliste chrétien.
Groen fut surtout un homme politique et un penseur politique chrétien.
Homme politique, il fut à trois reprises député du Parlement néerlandais et leader du Parti anti-révolutionnaire établi en 1848.
Que l'on y prenne bien garde : Groen n'a aucunement été un conservateur et ne s'est jamais fait l'avocat du statu quo. Etre anti-révolutionnaire, au sens de Groen et de son Parti, ce n'est pas être contre les changements, contre les progrès, nécessaires, et même contre toute forme d'insurrection. Etre anti-révolutionnaire, au sens de Groen et de son Parti, c'est, pour le bien des hommes et pour le vrai progrès du genre humain, combattre les principes et les mauvais fruits conséquents de la Révolution "humaniste". Au reste, l'idéologie "religieuse-apostate" de la Révolution était alors partagée aussi bien par les libéraux - disons : la Gauche - que par les conservateurs - disons : la Droite. En réalité, Metternich et les partisans du Traité de Vienne et de l'Ordre établi avaient la même idéologie que leurs adversaires. "Les idées de Rousseau et de Montesquieu étaient alors la propriété de tous les pays civilisés".[10] L'opposition des uns aux autres n'était pas "religieuse", "idéologique", mais se situait seulement au niveau "pratique" des intérêts et des moyens à considérer. Aussi, pour Groen, l'obligation alternative "conservateurs" ou "libéraux" - nous dirions aujourd'hui "droite" ou gauche" - s'inscrivait-elle dans le même ensemble apostat, religieux", "idéologique" à combattre résolument.
Comme homme politique, Groen, incompris le plus souvent jusque dans son propre Parti, demeura tout au long des années Trente à Cinquante et la majeure partie des années Soixante, un combattant plus ou moins solitaire, un "général sans armée" a-t-on dit. Ses nombreux adversaires en profitèrent pour le ridiculiser plutôt que pour le combattre honnêtement et sans mépris. Longtemps, en témoin de son Seigneur dans la sphère politique, Groen dut porter sa croix.
Seules, les sept dernières années de sa vie, de 1869 à 1876, furent rafraîchies et réconfortées par le secours inespéré et puissant que lui apporta Abraham Kuyper. Lorsque, le 8 mai 1869, Groen Van Prinsterer en sa vieillesse commençante entendit la conférence : Appel à la conscience nationale que Kuyper, alors pasteur à Utrecht, donna en l'Eglise cathédrale de cette ville à l'occasion d'un congrès national de la Société pour l'éducation chrétienne, fondée en 1860, il rendit grâces à Dieu. Enfin retentissait l'écho répondant à ce qu'il disait, apparemment sans grands résultats, depuis longtemps. Groen avait là près de lui et il écoutait et voyait pour la première fois un homme avec lequel il avait échangé quelques lettres, un homme dont la conviction, l'intelligence, la culture, les écrits, la parole, l'ardeur, allaient marquer l'histoire des Pays-Bas et de la chrétienté. Le "général sans armée" venait de trouver un successeur de taille, un général qui allait entraîner toute une armée à la bataille. Le vieillard qui n'avait pas eu d'enfant recevait pour sa consolation un fils spirituel incomparable. Et, pendant sept ans, ces deux hommes, saisis, éclairés, brûlés, par la même vision re-formée de Dieu, du monde et de la vie, allaient "évangéliser" ensemble leur pays, dans une amitié et un respect réciproques qui surmontaient la différence de leurs âges.
Penseur politique, Guillaume Groen Van Prinsterer a laissé des ouvrages saisissant d'actualité aujourd'hui :
Ongeloof en Revolutie ("Apostasie et Révolution"), 1847 ;
Le Parti anti-révolutionnaire et confessionnel (en français), 1860 ;
L'Empire prussien et l'Apocalypse (en français), 1867.
Dans "Apostasie et Révolution", Groen annonce que l'esprit apostat de la Révolution conduit de lui-même à l'avènement d'une société anti-christique dans laquelle un groupe scientifico-politique, ne reconnaissant d'autre autorité que sa propre raison et ayant une volonté de puissance absolue, dominera de façon totalitaire une population réduite à l'esclavage. Lorsque, comme par les Lumières et la Révolution, les mots : justice, liberté, tolérance, morale, etc... ne sont plus reçus et employés selon les principes chrétiens dont ils tiennent leur sens, la justice devient injustice ; la liberté, esclavage ; la tolérance, persécution ; et la morale immoralisme. Cette inversion sémantique du sens des mots est la nemesis verbale de ceux qui rejettent Dieu.
"Le bien-être de demain ne peut être établi par la modification, modération, régulation de principes pernicieux, ni par un esprit mortel d'abandon et de résignation ; il faut, au contraire, promouvoir la plus haute Vérité, accepter ce qui est la condition nécessaire pour suivre l'unique voie vers le bien-être des nations". Et Groen de montrer que lorsque Dieu et Sa Parole sont reniés, la morale est bientôt jetée par-dessus bord : une fois que le principe de la Révolution est adopté, il suit, comme la nuit après le jour, que la morale, la foi, le droit et la justice sont balayés pour être remplacés par leurs contre-façons humanistes. Il ne sert à rien, dit Groen, de blâmer les révolutionnaires pour leurs excès lorsqu'en même temps on applaudit à leurs principes. Et il démontre que la Révolution ne peut manquer de persécuter les chrétiens parce que, du point de vue du philosophe et politicien révolutionnaire, la Révélation et la Foi chrétiennes ne sont pas seulement ridicules mais nocives.
Dans "Le Parti anti-révolutionnaire et confessionnel", Groen démontre qu'une pensée et une action politique chrétiennes ne peuvent dépendre que d'une confession chrétienne de l'autorité de Dieu et de sa Parole sur toute l'existence, et qu'elles impliquent le rejet de l'esprit et des doctrines de la Révolution. Il faut choisir entre l'esprit de la "Révolution permanente" et l'esprit de la Reformation selon la Parole de Dieu. L'esprit de la Révolution, c'est le culte de l'homme ne reconnaissant d'autre souverain que lui-même, d'autre lumière que celle de sa propre raison, d'autre loi que sa volonté. Nous devons attaquer le mal à sa racine et renoncer complètement à ce subjectivisme qui, ne tenant compte ni de la souveraineté de Dieu, ni de la chute et de la faiblesse de l'homme, mine le fondement de toute vérité et ne peut que détruire sans être capable de construire.
Dans ce Même ouvrage, Groen expose les raisons pour lesquelles, en politique, les chrétiens doivent rompre aussi bien avec les "conservateurs" qu'avec les "libéraux". Ceux-là aussi bien que ceux-ci ne reconnaissent pas la souveraineté de Dieu et de sa Parole dans la sphère politique et soutiennent, par exemple, le monopole étatique de l'éducation voulu par la Révolution. Ce que Groen avait comme objectif, sur ce dernier point, c'était une éducation des enfants de l'Alliance de grâce donnée, sous la responsabilité de leurs parents, dans des écoles où toutes les disciplines seraient enseignées à la lumière de la Révélation divine tant spéciale (l'Ecriture Sainte) que naturelle (la Création de Dieu). Il ne s'agissait pas d'ajouter "la religion" aux autres sujets enseignés à l'école mais d'enseigner tous les sujets selon la vraie religion, celle du Dieu vivant et non plus selon la religion humaniste.
Dans ''l'Empire prussien et l'Apocalypse", Groen, avec une singulière, mais après tout très normale, clairvoyance, avertit les nations européennes des abîmes vers lesquels elles se précipitent. Je cite :[11]
"Il y a deux axiomes de droit public au point de vue chrétien.
I. La Loi divine est obligatoire ; l'intérêt national est donc une idole, une fausse divinité.
Il. L'Antéchrist de notre époque est l'idolâtrie du Moi, systématisée dans le rationalisme et la Révolution.
I. La Loi divine, la Loi révélée, est obligatoire dans la sphère politique et doit imposer silence à l'égoïsme, soit individuel, soit national...
On ne révoquera pas en doute la foi et le zèle de la Neue Evangelische Zeitung[12]. Eh bien ! au commencement de cette année on y proclamait qu'une politique soit-disant évangélique est en contradiction avec la nature même de l'Etat.
Séparer ainsi l'Evangile et la politique me paraît une erreur très grave... Entre l'athéisme pratique, l'irréligion, et la religion révélée, pour l'Etat comme pour chacun de nous, il faut choisir...
Prenez-y garde ; d'autres sauront développer les conséquences de la séparation que vous prêchez. Votre morale russe, autrichienne, prussienne, deviendra malgré vous de la morale indépendante. Votre politique non-évangélique aboutira malgré vous à l'intérêt bien entendu, à la raison d'Etat, au culte, même s'il le faut, sanguinaire et féroce du salut public. Tous les scrupules s'évanouiront devant la loi, seule désormais inviolable, de la nécessité politique.
Les deux systèmes, le système révolutionnaire et le système chrétien, se résument dans leur devise. Où la raison d'Etat dit : il le faut, le chrétien répond : Je ne puis...
L'égoïsme national n'est pas la loi suprême en politique...
Il. L'Antéchrist de nos jours, c'est l'esprit de rationalisme et de Révolution... Les chrétiens de toute dénomination ont dans la Révolution un ennemi commun... Eritis sicut Deus. C'est la devise de l'impiété... C'est l'humanité qui s'adore...
Résister à ce caractère antichrétien de notre époque a été la pensée dominante de mes écrits et le fil conducteur de ma politique... L'Antéchrist, c'est l'esprit de révolution".
 
III
Il est temps, maintenant, de parler d'Abraham Kuyper (1837-1920).
Kuyper fit ses études de lettres et de théologie à l'Université de Leyde, lui aussi. En théologie, il reçut l'enseignement de modernistes déclarés et savants tels L.W. Rauwenhoff, historien de l'Eglise puis philosophe ; Abraham Kuenen, professeur d'Ancien Testament ; et surtout Joannes Henricus Scholten, dogmaticien de grande réputation dont l'autorité hélas ! n'était pas celle de la Sainte Ecriture. "Moi aussi", dira plus tard Kuyper, "j'ai rêvé le rêve du modernisme" ; et il versera des larmes d'amer regret et de honte au souvenir d'avoir, un jour, applaudi, avec ses camarades de cours, Rauwenhoff déclarant qu'il ne pouvait plus admettre, comme un fait historique, la résurrection du Christ.
Le 20 septembre 1862, il obtint le grade de Docteur en théologie (summa cum laude) avec une thèse en latin : J. Calvini et J. a Lasci de Ecclesia sententiarum compositio ("Comparaison des doctrines sur l'Eglise de Jean Calvin et de Jean a Lasco").[13]
La première paroisse que servit Kuyper, comme pasteur, fut l'Eglise de Beesd, un petit village de Gelderland, à vingt-cinq kilomètres environ au sud d'Utrecht. Dans l'ensemble, les "fidèles" de cette Eglise se satisfaisaient du statu quo, celui d'une sorte d'orthodoxie sans puissance spirituelle et qui ne les faisait pas combattre pour la cause et les besoins du Règne de Dieu. Kuyper prêchait consciencieusement et, avec zèle, visitait les paroissiens. Il y avait cependant à Beesd quelques réformés confessants dont une jeune femme, Pietje Baltus, fille de paysans, dont la foi réformée était profonde et qui, pour cette raison, ne supportant pas les sermons des pasteurs d'alors, puisait ses forces spirituelles dans la méditation de la Bible, la lecture assidue des confessions de foi et celle des auteurs réformés d'autrefois. A une voisine qui lui annonçait que le nouveau pasteur visitait toute la paroisse et allait sûrement bientôt venir la voir, elle répliqua : "Je n'ai rien à en faire !" ce à quoi la voisine ajoute : "N'oublie pas, Pietronella, que notre pasteur a, lui aussi, une âme immortelle et qu'il a, lui aussi, à se préparer à l'éternité." Aussi, quand Kuyper vint la visiter, Pietje Baltus osa fermement lui parler de Jésus-Christ et l'inviter à recevoir, lui aussi, ce salut.
Peu à peu, selon l'élection souveraine de Dieu, le docteur en théologie de l'Université de Leyde se laissa "évangéliser" par Pietje, l'humble paysanne qui lui ouvrait les trésors de l'Ecriture Sainte et de la Foi re-formée. Il rompit décidément avec le modernisme, reprit, pour la faire sienne parce que biblique, la doctrine des confessions de foi, se rendit inconditionnellement au Dieu trinitaire et à sa Parole, et devint pour toujours, à son tour, un chrétien réformé ardent et confessant.
Jamais Kuyper n'oublia Pietje Baltus, sa mère spirituelle en Christ. Et aujourd'hui encore, on peut voir, dans la "Kuyperhuis" à Amsterdam, sur le bureau de Kuyper, la photo de Pietje Baltus, photo qui ne quitta jamais, comme un rappel et un défi, le pasteur, le théologien, le journaliste, l'homme d'Etat, que fut Kuyper.[14]
Le 10 novembre 1867, en la Domkerk (l'Eglise cathédrale) d'Utrecht, Kuyper était "installé" comme pasteur. Sa prédication sur "La Parole est devenue chair et elle a habité parmi nous" (Jn 1:14), malgré quelques fausses notes encore hégéliennes, quelques "bavures" encore, était un appel en vue de la re-formation de l'Eglise réformée officielle : "Si nous devons entreprendre soit la restauration de l'Eglise, soit la fondation d'une nouvelle Eglise, nous sommes, en tout cas, appelés à construire, que ce soit selon l'ancien plan ou que ce soit selon le style plus pur et le projet architectural plus élevé que l'Esprit de Dieu nous fera connaître".
A cette époque, une fois par an, toute Eglise locale était "visitée", "inspectée", par des représentants de l'Eglise nationale. Mais la chose était devenue une routine et en fait, deux années sur trois, se passait par questionnaires, sans vraie visite "spirituelle". Sur la proposition de Kuyper, le plus jeune des pasteurs d'Utrecht, ceux-ci décidèrent, le 15 avril 1868, de renvoyer les questionnaires sans répondre à une seule question puisque "les questions étaient posées au nom d'un Synode avec lequel les pasteurs n'avaient pas communion de foi et de confession".
Le Synode officiel ne broncha pas. Mais le fait était passé si peu inaperçu que, pour couper court aux folles rumeurs qui commençaient à circuler, Kuyper dut faire paraître, en août, une brochure : La visite d'Eglise à Utrecht en 1868, considérée historiquement dans la vision de la condition critique de notre Eglise.
Kuyper était vraiment entré dans le grand combat spirituel pour la reconstruction chrétienne, combat qu'il poursuivra inlassablement jusqu'à sa mort.
Journaliste remarquable par le caractère tout à la fois clair, vigoureux, populaire et profond de son style, il occupera deux tribunes dont l'importance ira croissant : celle de l'hebdomadaire De Heraut et celle du quotidien De Standaard.
Peu après sa conférence "Appel à la conscience nationale", il publiera, le 8 octobre 1869, son premier article dans De Heraut, dont il deviendra, moins d'un an après, le rédacteur-en -chef. Le peuple réformé des Pays-Bas trouvera chaque semaine, dans ce périodique, des éditoriaux, des méditations, des études bibliques, des exposés de la Foi, des considérations sur la situation des Eglises, signés par Kuyper, qui lui procureront une nourriture solide, et dont beaucoup seront publiés en volumes (par exemple : L'œuvre du Saint-Esprit[15] - articles publiés par De Heraut, du 2 septembre 1883 au 4 juillet 1886 ; trois volumes publiés en 1888 et 1889 - et encore : Le miel du Rocher et Jours de joyeuses nouvelles - articles, puis recueils, de méditations).
Le 1er avril 1872 parut le premier numéro d'un quotidien De Standaard, que dirigera longtemps Kuyper et qui sera l'organe du Parti anti-révolutionnaire (ce Parti, fondé par Groen Van Prinsterer, ne deviendra un Parti vraiment organisé qu'à partir de sa première convention nationale tenue le jeudi 3 avril 1879).
Homme d'Eglise, Kuyper, après avoir été pasteur de l'Eglise réformée officielle à Beesd, puis à Utrecht, le sera à Amsterdam de 1870 à 1874. Ses prédications de la vivante Parole de Dieu allaient réveiller tout un peuple de Dieu aux Pays-Bas, car, souvent imprimées après avoir été dites, elles atteignirent les Provinces de tout le Royaume. Devenu homme d'Etat à partir de 1874, Kuyper demanda et obtint de n'être plus que pasteur émérite. Mais il ne cessa pas pour autant, en tant qu'"ancien" ou que fidèle, de prendre une part active à la vie ecclésiale.
Alors que le modernisme sévissait dans l'Eglise officielle, le consistoire d'Amsterdam, dont Kuyper était membre au titre d'ancien, prit l'initiative, en 1883, de demander que nul ne puisse être admis au saint Ministère s'il ne pouvait signer cordialement les trois Formes d'Unité[16]. La même année, et sur la même lancée, Kuyper publia un volume manifeste de 204 pages sur "La Reformation des Eglises" (c'était alors le 400e anniversaire de la naissance de Luther).
Toute re-formation de l'Eglise réformée officielle (où en était le semper reformanda ?!) se heurtant à l'appareil moderniste en place, 200 Eglises environ quittèrent, en 1886, leur dénomination dont Kuyper et ses amis venaient d'être exclus. Elles réunirent un premier synode en 1890. Puis, en 1892, ces Eglises réformées, au nombre alors de 300 environ, se réunirent aux Eglises chrétiennes réformées (séparées, elles, de l'Eglise officielle depuis 1834), au nombre alors de 400 environ, pour former "les Eglises réformées aux Pays-Bas".
Théologien, Kuyper est, entre autres, l'auteur de deux ouvrages importants ; un ouvrage savant, en trois volumes : Encyclopaedie der Heilige Godgeleerdheid ("Encyclopédie de la sainte théologie")[17] qui définit la nature de la science théologique, sa place dans l'organisme des sciences, et les différentes disciplines qui la composent ; et un ouvrage plus populaire, en quatre volumes : E Voto Dordraceno, qui est une exposition du Catéchisme de Heidelberg.
Homme d'Etat, Kuyper devint député pour la première fois en mars 1874. Il devait être Premier Ministre des Pays-Bas pendant quatre ans, de 1901 à 1905.
Trois grandes questions ont passionné Kuyper homme politique : la question de l'enseignement, la question coloniale et la question sociale.
La question de l'enseignement. Kuyper, dans la fidélité à la Sainte Ecriture, affirmera intrépidement : en ce qui concerne l'éducation des enfants, le droit prioritaire des parents contre l'absolutisme de l'Etat ; en ce qui concerne l'enseignement tant primaire ou secondaire que supérieur, le droit à la liberté de l'enseignement contre le monopole de l'enseignement d'Etat.
La grande affaire de Kuyper, dans le domaine de l'enseignement, fut l'établissement de l'Université libre d'Amsterdam.
En 1878, les Pays-Bas, avec une population de quatre millions d'habitants, comptaient trois Universités d'Etat (Leyde, Groningue et Utrecht) dont les humanistes, les rationalistes et les modernistes étaient pratiquement les maîtres. Le 5 décembre une "Société pour un Enseignement supérieur sur le fondement des principes réformés" fut établie à Utrecht. Le 7 novembre 1879, par un acte de foi remarquable, A. Kuyper et F.L. Rutgers furent nommés professeur à la Faculté de théologie d'une Université qui n'existait pas encore ! En fait, ils préparèrent activement ce qui suivit.
Le 19 octobre 1880, en l'Eglise cathédrale d'Amsterdam fut célébré un service de prière au cours duquel Ph. J. Hoedemaker donna une prédication sur 1 Samuel 13:19 : "On ne trouvait pas de forgerons dans tout le pays d'Israël car les Philistins avaient dit : Empêchons les Hébreux de fabriquer des épées ou des lances". Et le lendemain, 20 octobre 1880, ce fut le plus beau jour de la vie d'Abraham Kuyper : l'Université libre d'Amsterdam était inaugurée... avec cinq professeurs : Kuyper, Rutgers et Hoedemaker pour la théologie ; D. Fabius pour le Droit ; et F.W.J. Dilloo pour les Lettres. Quarante hommes et femmes faisaient don à la nouvelle Université du capital, nécessaire selon la Loi, pour démarrer.
En 1905, Kuyper, Premier Ministre, devait faire voter la loi qui allait assurer aux Pays-Bas une liberté vraiment plurielle de l'enseignement, l'ouverture de l'enseignement d'Etat à certains cours libres, la possibilité d'étendre tout enseignement supérieur d'Etat à des domaines autres que ceux des Lettres, des Sciences, du Droit et de la Médecine (d'où l'Université technologique de Delft et, bien plus tard, l'Université d'agriculture de Wageningen et les Universités de commerce de Rotterdam et de Tilburg).
La question coloniale. Kuyper, dans la fidélité à la Sainte Ecriture, affirmera intrépidement le droit des peuples colonisés (dans le cas particulier : celui des Indes orientales néerlandaises) à n'être pas exploités, que ce soit par la nation colonisatrice ou par des personnes morales ou physiques, et à recouvrer progressivement leur indépendance. Kuyper et ses amis œuvrèrent pour que les écoles et hôpitaux soient multipliés dans les colonies, pour que des cadres y soient formés, pour que soit mis fin au trafic de l'opium, pour qu'il y ait une administration équitable de la justice, pour que soit préparée la future indépendance par une organisation de conseils locaux et régionaux.
La question sociale. Kuyper, dans la fidélité à la Sainte Ecriture, affirmera intrépidement le droit des travailleurs à leur pleine dignité d'hommes. Il cherchera à éviter, dans les lois qu'il proposera et fera voter, le Scylla du laisser-faire et le Charybde de l'étatisme, en assurant le minimum d'interférence gouvernementale et le maximum d'initiatives et de participation des corps intermédiaires et des travailleurs. Les prises de position de Kuyper contre la politique sociale libérale du libre-échange et du laisser faire provoquèrent l'opposition des libéraux qui l'accusèrent de jouer avec le feu et d'être un démagogue. Et Kuyper déchaîna un véritable tumulte, le 28 novembre 1874, quand il ouvrit sa Bible de poche devant la Seconde Chambre pour lire Jacques 5:1 et ss. : "Et maintenant, à vous, riches ! Pleurez et gémissez à cause des malheurs qui viendront sur vous..."
En 1891, Kuyper ouvrit le Premier congrès social chrétien, par une conférence sur "Le Christianisme et la lutte des classes". Citant Eccl. 4:1 ; Jac. 5:1-4 ; 1 Tim. 6: 10, il déclara : "La question sociale est devenue LA question, la question vitale brûlante à la fin du XIXe siècle", et il s'en prit à l'esprit bourgeois de la Révolution française. Dans cette même conférence, Kuyper souligne cinq points :
a) Dieu étant le Créateur du ciel et de la terre, il nous faut écouter et suivre les lois qu'Il a établies pour la Société terrestre ;
b) l'Etat n'est pas la seule sphère sociale établie par Dieu ; les autres sphères sociales (familiale, professionnelle, ecclésiastique, etc ... ) doivent être reconnues elles aussi ;
c) l'humanité étant "d'un seul sang", l'interdépendance et les inter-relations sociales doivent aussi être reconnues ;
d) toute propriété est à Dieu ; les hommes ne sont jamais que les "gérants" de ce qu'ils "possèdent" ; l'usage "responsable" de toute "propriété" privée ou publique est un devoir chrétien ;
e) la fonction divine du gouvernement est de promouvoir la justice ; quand une injustice apparaît dans la vie sociale, il est de la responsabilité de l'Etat d'intervenir par des lois effectives.
Et Kuyper de conclure... "la question fondamentale de tout le problème social est de savoir si les moins fortunés, si les plus pauvres, sont non seulement des créatures en situation misérable mais, pour l'amour du Christ, des frères de votre propre chair et de votre propre sang", ajoutant : "Il n'y a pas de place (dans le Parti anti-révolutionnaire) pour ceux qui voudraient rejoindre nos rangs pour mettre leur portefeuille à l'abri. Car nous sommes sur une terre sainte et quiconque veut marcher sur elle doit d'abord quitter les sandales de son égoïsme".
Quand il fut Premier Ministre, et bien que son gouvernement fût un gouvernement de coalition ne lui laissant pas les coudées franches, Kuyper fit adopter une législation sociale assurant la protection des femmes et des jeunes travaillant dans l'industrie, établissant pour tous les Néerlandais un système d'assurances contre la maladie, l'incapacité et la vieillesse, législation alors à la pointe du progrès nécessaire dans les pays occidentaux.
 
IV
En 1926, le néerlandais Herman Dooyeweerd (7 oct. 1894-12 févr. 1977), nommé professeur de philosophie du Droit, d'encyclopédie du Droit, et de Droit néerlandais médiéval, à l'Université d'Amsterdam, traitait, dans sa leçon inaugurale de "De betekenis der welsidee voor rechlswetenschap en rechtsphilosophie" ("La signification de l'Idée de Loi pour la science du Droit et la philosophie du Droit"). Avec cette leçon inaugurale magistrale commençait (on ne s'en doutait pas alors ! ) le développement de cette philosophie spécifiquement chrétienne appelée d'abord "philosophie de l'idée cosmonornique" ou "philosophie calviniste" et qui mérite plutôt le nom de "philosophie re-formée".[18] Au reste, le nom de Philosophia Reformata est celui que garde encore la revue trimestrielle lancée par Dooyeweerd en 1936 comme organe de la "Société pour une philosophie calviniste" et qui a compté, parmi ses tout premiers collaborateurs, aux côtés de Dooyeweerd et de son beau-frère D.Th. Vollenhoven[19], J. Bohatec, le savant calviniste de Vienne[20] ; H.G. Stoker, un philosophe sud-africain ; et Cornelius Van Til, l'apologète américain qui devait devenir, selon le mot de l'exégète vétéro-testamentaire Meredith Kline[21] "le prince des apologètes au XXe siècle".[22]
En 1935-1936 paraissait le premier grand ouvrage philosophique de Dooyeweerd : De wijsbegeerte der wetsidee ("La philosophie de l'Idée de Loi") en 3 volumes. Mais c'est de 1953 à 1958 que parut, en anglais, comme une extension de son premier grand ouvrage et sous le titre A New Critique of Theoretical Thought ("Une nouvelle critique de la pensée théorique") son opus magnum.[23]
Dès 1954, un Jésuite allemand, Michael J. Marbet, publiait, à Munich, Grundlinien der Kalvinistischen "Philosophie der Gesetzeidee" als christliche Transzendentalphilosophie ("Principes de philosophie calviniste de l'Idée de Loi comme philosophie transcendantale chrétienne"), ouvrage signalant l'importance et la portée oecuménique de la philosophie réformée.
En France, dès avant la seconde guerre mondiale, le dogmaticien Auguste Lecerf avait nommé "les philosophes calvinistes Vollenhoven et Dooyeweerd"[24]. Pierre Marcel, qui, un temps, était allé les écouter et les étudier à Amsterdam, a écrit, pour sa licence puis pour son doctorat en théologie, deux thèses considérables consacrées à la pensée philosophique de Dooyeweerd[25]. La Revue Réformée, dont Pierre Marcel est le directeur depuis qu'il l'a lancée en 1950, a publié plusieurs articles fondamentaux de Dooyeweerd qui ont l'avantage d'avoir été rédigés en français.[26]
La philosophie re-formée, profondément une par son motif-de-base, chrétien, biblique, et dans son mouvement essentiel, et cependant fort diverse dans ses recherches et ses exposés entrepris par des hommes très différents, a déjà compté et compte plus encore aujourd'hui toute une pléiade de savants.
Aux Pays-Bas d'abord, à côté de Dooyeweerd, nommons encore D.H.Th. Vollenhoven dont la contribution spécifique est dans le champ de l'historiographie de la philosophie. Sa méthode (de Konsekwent probleem-historische methode)[27] renouvelle l'approche et la vision que nous pouvons avoir de l'histoire de la pensée occidentale. Il a publié, par ailleurs, un seul volume de son "Histoire de la philosophie" (Geschiedenis der wiisbegeerte), volume comprenant une Introduction et une Histoire de la philosophie grecque avant Platon et Aristote" (1950). Citons aussi S.U. Zuidema[28] ; J.P.A. Mekkes[29] ; K.J. Popma[30] ; Hendrik van Riessen, un ingénieur devenu philosophe, dont on peut lire en anglais The Society of the Future[31], et J.D. Dengerink, dont la Revue Réformée a publié plusieurs articles en français.
En Afrique du Sud, et particulièrement à Potchefstroom, il y a H.G. Stoker, déjà nommé, un ancien disciple de Max Scheler "converti" à la philosophie re-formée[32] ; J.A.L. Taljaard, qui a été le premier président de la Société de philosophie d'Afrique du Sud[33] ; et B.J. Van der Walt.[34]
Aux Etats-Unis, la philosophie re-formée suit des routes fort variées. Si Robert D. Knudsen[35] est bien dans la ligne de Dooyeweerd, Cornelius Van Til, déjà nommé, plus proche de H.G. Stoker, développe une "philosophie théologique" pré-suppositionaliste rigoureuse et conquérante[36] tandis que R.J. Rushdoony et Greg L. Bahnsen exposent une pensée théonomique fortement controversée mais, à mes yeux, riche d'avenir[37]. Nommons encore le jeune et brillant Vern S. Poythress, dont l'ouvrage Philosophy, Science and the Sovereignty of God[38] ouvre d'originales perspectives.
Au Canada, autour de l'Institute for Christian Studies, de Toronto, Hendrik Hart, H. Evan Runner et Bernard Zylstra animent une équipe dynamique qui a réjoui le cœur de Dooyeweerd dans les dernières années de sa vie, mais qui a pris parfois, par rapport à l'autorité normative de l'Ecriture Sainte, des positions pour le moins aventurées.
 
V
Trois grandes figures historiques sont à l'arrière-plan de la naissance et du développement de la philosophie re-formée : celles de S. Augustin, de Calvin et... de Kuyper.
Nous avons déjà fait mention de S. Augustin (354-430) pour signaler que c'est lui qui a mis en évidence l'antithèse, l'opposition, entre la Civitas Dei et la Civitas terrena.
Cette antithèse, cette opposition, s'exerce en particulier dans le domaine de la pensée.
Après avoir assumé, sans trop de problèmes d'abord, l'héritage de Cicéron, dont l'Hortentius lui avait donné de "convoiter avec une fougue incroyable l'immortalité de la sagesse"[39], ensuite celui des philosophes néo-platoniciens qu'il plaçait au-dessus de tous les autres[40], S. Augustin en vint, au cours du combat des deux Cités au-dedans de lui-même, à re-former profondément sa propre pensée. Ainsi regretta-t-il, comme en témoignent les Rétractations[41] de la fin de sa vie, d'avoir placé en l'intelligence aussi bien qu'en Dieu le bien suprême de l'homme (allusion à son discours, de son temps de catéchumène : Contra Academicos), d'avoir affirmé que les philosophes sans vraie piété avaient pu (ou pourraient) se sauver par la lumière de leur vertu (allusion à son traité De ordine), et d'avoir trop insisté, en plusieurs passages de son De libero arbitrio, sur le rôle de la volonté humaine sans avoir parlé en même temps de la grâce souveraine de Dieu. Dans A New Critique of Theoretical Thought[42], Dooyeweerd nous apprend que c'est "l'Idée biblico-augustinienne du conflit permanent, à la racine religieuse de l'histoire, entre la Civitas Dei et la Civitas terrena" qui l'a conduit, "dès l'entrée, au long du labyrinthe compliqué de l'histoire de la pensée philosophique".
Dans un important passage du même ouvrage[43], Dooyeweerd donne les raisons pour lesquelles une philosophie chrétienne ne peut être développée que dans le sens indiqué et suivi par Jean Calvin (1509-1564). D'abord, à l'école de l'Ecriture Sainte, le Réformateur français rappelle et souligne que la corruption due au péché n'est pas restreinte à une "partie de l'âme" et que l'entendement lui-même, "ce qui est le plus noble et le plus à priser en nos âmes, est non seulement navré et blessé mais totalement corrompu, quelque dignité qui y reluise, en sorte qu'il n'a pas seulement besoin de guérison, mais qu'il faut qu'il vête une nature nouvelle". Il faut donc, dit Calvin, un "renouvellement", une "reformation", de la pensée comme de tout notre être (cf. Rom. 12:1-2) ; et le Réformateur d'enseigner la nécessité, en priorité, d'une "connaissance de Dieu enracinée au coeur"[44], c'est-à-dire en notre moi, au point de concentration de notre existence tout entière. Ensuite, par sa maxime Deus legibus solutus est, sed non exlex, signifiant que Dieu, Loi à soi-même, est libre à l'égard des lois auxquelles Il a soumis ses créatures, Calvin, avec un sens bien biblique, chrétien, de la Majesté et de la Souveraineté divines, nous rappelle que Dieu seul est autonome et que toutes ses créatures, jusques et y compris les hommes qu'Il a créés et maintient vraiment libres et responsables, sont et demeurent théonomes[45]. Dans son commentaire du Pentateuque, le Réformateur dit de Dieu : Legibus solutus est, quia ipse sibi et omnibus lex est : "Il n'est pas soumis aux lois parce qu'Il est Lui-même Loi pour soi et pour toutes choses".[46] Premier des philosophes re-formés, Dooyeweerd considère qu'en cela réside "l'alpha et l'oméga de toute philosophie s'efforçant d'adopter, non pas en prétention mais en fait, une position vraiment critique"[47] ; d'où l'appellation originelle de "philosophie de l'Idée de Loi" (wetsidee) qu'il donna à la philosophie re-formée. L'Idée de Loi souligne la frontière (non-spatiale et pour les créatures seulement !) entre le Créateur et sa création. Aussi toute pensée philosophique chrétienne va-t-elle pouvoir percevoir et décrire le cosmos, dans sa prodigieuse richesse de sens, comme création de Dieu centrée sur sa racine religieuse nouvelle : Jésus-Christ.
Dans la ligne augustino-calvinienne, Abraham Kuyper - nous l'avons vu - a développé l'Idée de l'antithèse religieuse radicale et totale entre la pensée chrétienne, dans la mesure où elle est fidèle au Christ de l'Ecriture et à l'Ecriture du Christ, et toute pensée non-chrétienne. Les conférences données par Kuyper à Princeton en 1898, et publiées sous le titre Lectures on Calvinism,[48] sont significatives par leur seule table des matières : 1. Le calvinisme : une vision de la vie et du monde 2. Le calvinisme et la religion 3. Le calvinisme et la politique 4. Le calvinisme et la science 5. Le calvinisme et l'art ; 6. Le calvinisme et le futur. Dooyeweerd n'a pas manqué de reconnaître sa dette envers Kuyper : "La philosophie de l'Idée cosmonomique, depuis le commencement de son développement jusqu'à sa première expression systématique dans cet ouvrage (A New Critique) ne peut être comprise que comme un fruit du réveil calviniste aux Pays-Bas à partir des dernières décennies du XIXe siècle, un mouvement qui fut conduit par Abraham Kuyper... Aucun chrétien, s'il prend vraiment à cœur l'universalité du Règne du Christ et la confession centrale de la souveraineté de Dieu, en tant que Créateur, sur l'ensemble du cosmos, ne peut échapper au dilemme que cette philosophie expose... C'est dans un sens universel que nous devons entendre l'Idée kuypérienne de l'antithèse religieuse dans la vie comme dans la pensée... Cette antithèse ne trace pas une ligne de classification des personnes mais une ligne de division, à travers le monde, selon les principes fondamentaux, une ligne de division qui passe au travers de l'existence de chaque chrétien. Cette antithèse n'est pas d'invention humaine, mais elle est une grande bénédiction de Dieu. Par elle, Dieu empêche sa création déchue de périr. Nier cela, c'est renier le Christ et l’œuvre qu'Il poursuit dans le monde".[49]
 
VI
Dès son départ, la philosophie re-formée entreprit d'examiner, puis rejeta, le dogme, toujours maintenu jusqu'aujourd'hui dans l'histoire de la pensée occidentale, de la prétendue autonomie de la pensée théorique. Les diverses critiques de la raison n'ont, en fait, jamais été assez radicales pour oser mettre en question l'axiome ou le postulat de l'autonomie de la pensée philosophique ou scientifique. Par exemple, ni la Critique de la raison pure, à laquelle Kant travailla de 1770 à 1781, ni La crise des sciences en Europe et la phénoménologie transcendantale, que Husserl publia en 1937, un an avant sa mort, ni la Critique de la raison dialectique qu'inaugura Sartre en 1960, ne touchent au dogme, incontesté et incontestable pour ces philosophes, de l'autonomie de la raison. Husserl, qui avouera ensuite "avoir rêvé un rêve", affirmait avoir proposé "la critique la plus radicale de la connaissance", avoir "fait valoir le droit de la raison autonome à s'imposer comme seule autorité en matière de vérité", s'être "débarrassé de toutes les idoles, des puissances de la tradition, des préjugés de toutes sortes". Il ne faisait ainsi que manifester, de façon naïve, qu'il recevait, sans aucunement le critiquer, le dogme, traditionnel depuis les merveilleux Grecs, de l'autonomie de la theoria.
Mais - et c'est ce que démontre A New Critique of Theoretical Thought - toute pensée théorique ne peut s'exercer sans être animée, qu'elle le sache ou non, qu'elle le déclare ou non, par un motif-de-base religieux[50] qui relie le "coeur", le "moi", le "je", de celui qui pense, "Cœur" créé par et pour l'Absolu[51], soit au seul vrai et vivant Absolu qui est le Dieu trinitaire Créateur et Sauveur, soit, par une inexplicable et inexcusable apo-stasie, à un relatif absolutisé qui ne peut être - tertium non datur - qu'une partie ou un aspect de la Création. C'est ce que démontre, une fois pour toutes, S. Paul :
"La colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent injustement la Vérité captive, car ce qu'on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, car Dieu le leur a manifesté. En effet les (perfections) invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient fort bien depuis la création du monde quand on les considère dans ses ouvrages.
Ils sont donc inexcusables puisque connaissant Dieu ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans de vains raisonnements et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. Se vantant d'être sages ils sont devenus fous ; et ils ont remplacé la gloire du Dieu incorruptible par des images représentant l'homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles.
C'est pourquoi Dieu les a livrés à l'impureté, selon les convoitises de leurs cœurs, en sorte qu'ils déshonorent eux-mêmes leurs propres corps, eux qui ont échangé la Vérité de Dieu contre le mensonge et qui ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni éternellement. Amen"[52].
Se comprend alors l'exhortation du même S.Paul aux chrétiens de Colosses : "Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et vaine tromperie selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde, et non pas selon Christ."[53]
Etrangement, les théologiens ou philosophes chrétiens, eux-mêmes, depuis les Pères jusqu'aujourd'hui n'ont pas essayé, dès qu'ils parlaient philosophie, de critiquer le dogme reçu de la prétendue autonomie de la raison. Même le philosophe d'Aix-en-Provence, Maurice Blondel (1861-1949), dans son esquisse d'une "philosophie chrétienne"[54], a voulu accorder et réconcilier la foi avec la raison sans aliéner l'autonomie de celle-ci . En recevant sans examen le dogme intouchable de la prétendue autonomie de la raison, les théologiens ou les philosophes chrétiens ont été conduits, qu'ils en aient eu ou non conscience, à "accommoder" leurs pensées aux motifs-de-base religieux apostats cachés dans les philosophies de leur temps (ou à la mode de leur temps). Le "point de vue proprement philosophique" n'a ainsi jamais cessé d'être pour eux le point de vue immanentiste et rationaliste imperturbablement maintenu, sous les formes les plus diverses, par la tradition philosophique humaniste. Les théologiens ou les philosophes "chrétiens", opérant des synthèses impossibles entre le motif-de-base chrétien, biblique (création-chute-rédemption) et des motifs-de-base apostats (forme-matière ou nature-liberté) dialectiques et antinomiques, ont été successivement platoniciens, aristotéliciens, cartésiens, kantiens, hégéliens, husserliens, heideggeriens, existentialistes, marxistes, structuralistes, etc.... la Foi chrétienne (au sens de la Fides quae creditur) faisant toujours, plus ou moins, les frais de l'opération.
La philosophie re-formée doit œuvrer - jusqu'en elle-même, jusque chez les théologiens réformés - pour que soient discernées, et combattues, et bannies, ces "accommodations" déformatrices de "la Foi transmise aux saints une fois pour toutes"[55]. En 1932 déjà, dans son Introduction à la dogmatique réformée[56], Auguste Lecerf écrivait : "La corruption est, extensivement sinon intensivement, totale. Elle s'étend à toutes les facultés humaines. Le péché a son siège non seulement dans le monde des passions sensibles qu'il pervertit et déchaîne, mais aussi dans la volonté qu'il asservit et dans l'entendement qu'il affranchit de la dépendance de son objet réel et du Créateur de l'objet. Il y a un péché de l'intelligence... (Le péché) s'étend plus haut et plus loin que la sensibilité et que la volonté. Il siège au centre même de la conscience intellectuelle de l'homme". Et Lecerf d'ajouter cette phrase que je souligne : "Si la raison était normale, elle consentirait à demeurer raison raisonnée". Comme l'écrit Dooyeweerd : "J'ai d'abord été fortement sous l'influence en premier lieu de la philosophie néo-kantienne, ensuite de la phénoménologie de Husserl. Le grand moment-tournant de ma pensée a été la découverte de la racine religieuse de la pensée elle-même. Cette découverte a projeté une lumière nouvelle sur l'impossibilité de toute tentative, y compris la mienne, d'opérer une synthèse interne entre la Foi chrétienne et une philosophie enracinée dans la foi en l'auto-suffisance de la raison humaine."[57]
C'est l'examen critique de la structure interne de la pensée théorique qui a conduit la philosophie re-formée à rejeter décidément le faux dogme traditionnel selon lequel le point de départ de la pensée se situerait dans la pensée elle-même. Si les mouvements philosophiques n'avaient pas, cachées sous elle et l'animant, des présuppositions plus profondes que leur theoria, les arguments des meilleurs philosophes convaincraient les autres. Mais, à l'inverse, le débat philosophique se bloque sans cesse parce qu'en raison-même du faux dogme de l'autonomie de la raison, qu'ils reçoivent en commun, les philosophes sont rendus incapables de pénétrer jusqu'aux véritables points de départ, jusqu'aux motifs-de-base religieux, des autres. Ils s'imaginent alors à tort que leurs oppositions fondamentales ne tiennent qu'à des défauts dans l'exercice de la pensée. En réalité, les oppositions fondamentales, en philosophie comme ailleurs, sont d'origine religieuse selon que l'homme reconnaît sa situation théonomique (de relation au vrai Dieu trinitaire, seul auto-nome, seul Loi-à-soi-même, qui se révèle avec évidence tant dans son œuvre créée, y compris l'homme, que dans sa Parole incarnée et écrite) ou ose prétendre à une impossible situation d'autonomie qui l'oriente vers (et le relie à) l'Idole, le relatif absolutisé, de son choix apostat.
La présupposition qui, seule, rend possible tant la pensée théorique que l'expérience, est la sûreté de la parole du Christ disant : "Le chemin, la vérité et la vie, c'est Moi ! " S'il était vraiment livré à lui-même - mais par la Providence et le Gouvernement de Dieu, il ne l'est pas -, l'homme apostat, philosophe ou non, serait perdu dans un océan de contingences sans rivages et sans fond. Mais cet homme, en dépit de sa prétention à l'autonomie, se trouve bel et bien situé dans l'univers de Dieu, dans l'univers que Dieu a créé, a placé sous sa Loi, gouverne et maintient, tant et si bien que s'il peut vivre et raisonner - même contre Dieu ! - c'est que le monde et lui-même ne sont pas ce que sa religion apostate lui fait penser, mais ce que la parole de Dieu révèle qu'ils sont. Chaque fois qu'en homme de pensée, philosophe ou savant, il "explique" ou "découvre" valablement quelque chose, il ne le fait - contrairement à ses fausses présuppositions - que parce qu'il emprunte, inconsciemment et à son "cœur" défendant, la présupposition chrétienne de la Création et de la Providence divines. Et c'est seulement ainsi que l'homme apostat a pu, peut et pourra contribuer au progrès du savoir et de la culture. Malgré ses fausses "religions". Non pas selon ses motifs-de-base insensés mais malgré eux. Non pas selon ses présuppositions de caractère dialectique et antinomique : "forme-matière", "nature-liberté ", "hasard-nécessité", etc... mais parce que, seule, la présupposition chrétienne, biblique, du Dieu trinitaire Créateur et Sauveur est vraiment vraie.
La philosophie re-formée, en se développant, va pouvoir et devoir rendre un service inappréciable à l'indispensable reformation progressive de l'ensemble du savoir théorique, sous l'autorité normative de la Parole de Dieu. En effet, si chacune des branches du savoir théorique, c'est-à-dire chaque science particulière, a comme objet propre, comme Gegenstand, un des aspects modaux de la réalité créée, avec son noyau-de-sens irréductible et définissant un des cercles-de-lois de la création[58], c'est la philosophie, dont le Gegenstand est tout à la fois la cohérence de sens de toute la réalité créée une et multiple et les inter-relations des divers aspects modaux qui la structurent "légalement", qui peut et doit assumer, à côté et au-dedans des sciences particulières, le rôle critique et positif qu'elle seule est appelée à jouer :
- rôle critique, en s'employant à discerner en toute science particulière, et même dans les sciences spéciales que sont la théologie et l'anthropologie, aussi bien ce qui relève de la présence et des influences, souvent subtiles, de motifs-de-base irrecevables parce qu'apostats, que ce qui relève valablement du motif-de-base chrétien, biblique ;
- rôle positif en contribuant à la reformation et à l'affinement des concepts, des notions, qu'utilise chaque science et qui ont généralement des sens analogiques, prospectifs ou rétrospectifs, dans les autres sciences ; rôle positif encore, en distribuant et en décrivant systématiquement les sciences particulières selon un ordre logique dépendant de la structure discernable dans la création ; et en caractérisant à part la théologie en tant que science de la Révélation spéciale de Dieu (dans le Christ de l'Ecriture dans l'Ecriture du Christ) et l'anthropologie en tant que science de l'homme-image de Dieu, à la lumière de cette même Révélation spéciale.
 
VII
Il est évident que le mouvement reformé de reconstruction chrétienne doit être entrepris ou poursuivi, en priorité, dans l'Eglise, profondément pénétrée hélas ! par l'esprit de révolution, de sécularisation et d'apostasie.
La vraie foi venant de ce qu'on entend la Parole du Christ[59], la priorité des priorités est celle d'une prédication, d'un enseignement, d'une catéchèse, aussi rigoureusement fidèles que possible à l'Ecriture Sainte reçue, sans aucune restriction, dans sa singularité et sa totalité, comme Parole inerrante de Dieu Lui-même. La saine doctrine[60] doit recouvrer dans l'Eglise la place qu'elle n'aurait jamais dû perdre. Aussi, dans les Ecoles, Facultés, Séminaires, Instituts, qui forment au saint Ministère, à la lumière et sous la norme de cette infaillible Parole de Dieu qu'est la Sainte Ecriture, les confessions de foi de l'Eglise des premiers siècles (Symboles apostolique, de Nicée-Constantinople, de Chalcédoine) et des Eglises réformées des XVIe et XVIIe siècles, comme aussi les œuvres anciennes ou modernes des docteurs de la grande tradition ecclésiale fidèle à l'Ecriture Sainte, doivent-elles être étudiées pour être suivies, continuées ; et les erreurs et hérésies qu'elles ont combattues doivent-elles être étudiées pour être réfutées, rejetées. Notre temps ne manque pas, grâce à Dieu, de docteurs fidèles rappelant l'Eglise à sa vraie tradition qui est de suivre humblement ce que dit le Christ de l'Ecriture et l'Ecriture du Christ[61].
A la saine doctrine divine qu'elle doit enseigner et proclamer, l'Eglise doit se conformer toujours mieux dans sa vie et dans la vie de ses membres, progressant ainsi dans la sanctification qui est en Jésus-Christ, son unique Chef, par la puissance du Saint Esprit, afin d'être vraiment le sel de la terre et la lumière du monde[62].
Mais - et je le répète car c'est pour le dire et le redire que cet article est écrit - , le mouvement reformé de reconstruction chrétienne doit être entrepris ou poursuivi, aussi, dans tous les autres domaines de l'existence.
Il est temps d'en finir avec le défaitisme "chrétien" qu'un Autre a mis à la mode !
Depuis des décennies, un peu partout, c'est comme si les "chrétiens" s'entretenaient à jouer battu. C'est comme s'ils étaient prêts à se replier sans cesse sur des positions même pas préparées à l'avance ; c'est comme s'ils étaient fascinés et attirés par tout ce qui va contre la Foi, contre la Sainte Ecriture, contre la Vérité qui, seule, peut affranchir des peurs, des doutes et de la puissance des Ténèbres ; c'est comme s'ils s'ingéniaient à ouvrir les portes de la Cité de Dieu aux adversaires et se proposaient d'être leur cinquième colonne.
Et les "chrétiens" de parler eux-mêmes, constamment, de fin de l'ère chrétienne, d'inéluctable sécularisation, de post-chrétienté. De répéter à qui veut bien (et comment !) les entendre que tout est profane et que rien n'est sacré.
Alors que le Seigneur leur tend et leur ordonne d'employer, pour qu'ils soient vainqueurs dans leur faiblesse même, des armes invincibles, ne dédaignent-ils pas ces armes, ne les jettent-ils pas bas, prêts à pactiser (paix ! paix ! paix !) avec l'Adversaire, sous quelque masque qu'il se présente ?
Dans cet horrible temps de défaitisme "chrétien", les leçons de fidélité, de courage, d'entreprise, d'espérance, d'un S.Augustin, d'un Jean Calvin, d'un Groen Van Prinsterer, d'un Kuyper, d'un Dooyeweerd et d'un Van Til, sont exemplaires. C'est un sursum corda qui doit retentir.
Toute espérance humaniste, toute espérance d'un salut (même seulement temporel) de l'homme par l'homme, est illusion, mensonge, duperie. L'homme est bien trop petit pour être un dieu pour l'homme.
Seule l'espérance chrétienne, seule l'espérance du salut (temporel et éternel) de l'homme par Dieu, par la grâce souveraine de Dieu, par l'Evangile-Loi de Dieu, est la vraie espérance. Dieu seul peut être Dieu pour une créature aussi grande, jusque dans sa misère, que l'homme.
Parce que Dieu est le souverain Créateur et Recteur de toutes les réalités visibles et invisibles, ni le salut qui est son œuvre de grâce, ni le combat dans lequel Il entraîne et conduit les siens, ne se bornent à je ne sais quelle sphère purement "intérieure", mais doivent s'étendre à toutes les sphères sans exception. Tout doit, devenir ou redevenir chrétien parce que la seigneurie du Christ Jésus, le Fils unique de Dieu incarné pour nous et pour notre salut, est une seigneurie totale. La Foi chrétienne place tout sous cette seigneurie du Christ. A Lui, comme au Père et au Saint Esprit l'honneur, la louange et la gloire, pour les siècles des siècles. Amen.

Plaidoyer pour une droite sexy: libérale, humaniste, progressiste

Un processus démocratique né dans les valeurs philosophiques libérales. Car – faut-il le rappeler? – le libéralisme n’est pas né à Wall Street. Le libéralisme est l’expression de l’unité philosophique, politique et économique des libertés. Avant tout, c’est un mouvement intellectuel, que l’on parle de tolérance religieuse, de liberté d’expression ou de recherche scientifique. L’œuvre d’humanistes comme Voltaire et Locke.
Le libéralisme, c’est aussi les droits de l’homme. Et la démocratie. Puisant ses origines dans les premiers signes de démocratie libérale: la «liberté sous la loi» de la Cité grecque. Puis, traversant la culture et la morale judéo-chrétienne, un carrefour de pensées libérales qui s’épanouit dans le rationalisme des Lumières. Le libéralisme, c’est tout cela. Sans oublier la science économique, née… en Espagne!
Le libéralisme est l’expression de la puissance intellectuelle et philosophique européenne, aboutissant au modèle de démocratie libérale que nous connaissons. Un formidable processus progressiste, voire révolutionnaire, porté et exporté aux quatre coins du monde.
Exporté, et envié. Car permettant, mieux qu’aucun autre, l’épanouissement personnel. La possibilité pour chacun de donner un sens à sa vie.
Et la Suisse est au cœur de ce libéralisme. Sa richesse et sa prospérité sont libérales. Son modèle social repose sur un système libéral. Son ouverture au monde est libérale, pays «mondialisé» s’il en est, avec un puissant réseau suisse à l’étranger et plus de 30% d’étrangers dans ses cantons. La richesse et l’avenir de la Suisse, c’est la poursuite de ce modèle progressiste libéral. Profondément humaniste.
Tout mouvement conservateur visant à ralentir cette progression, ce progrès, est une menace pour notre prospérité et nos acquis sociaux. Oui, les attaques conservatrices sont dangereuses: elles menacent l’équilibre et la richesse de notre pays. Il faut les combattre. Une Suisse prospère, intelligente, ouverte et progressiste est une Suisse libérale. Savoir changer, en permanence, s’ouvrir, tout en garantissant les conditions de prospérité de citoyens le plus libres possibles. C’est notre défi pour les années à venir.
De la libération des peuples arabes à l’épanouissement des classes moyennes indiennes, en passant par la prospérité helvétique: la force libérale est en marche. Enthousiasmante. Et sexy.

L’auteur est aspirant à la candidature libérale au Conseil national et au Conseil des Etats en octobre prochain.

France Moderne et Humaniste

Les membres du mouvement France Moderne et Humaniste souhaitent réaffirmer avec force que la politique familiale n’est pas qu’une politique sociale.
En effet, alors que la gauche envisage de fiscaliser les allocations familiales afin de bricoler pour  limiter la casse financière qui est en marche, nous souhaitons expliquer que notre opposition est fondée sur un triptyque :
Fiscaliser les allocations familiales revient à augmenter les impôts, or nous considérons que, pour réduire le déficit, il faut privilégier deux autres voies : la baisse de la dépense publique et la création d’activité.
Fiscaliser les allocations familiales, c’est une nouvelle fois pressurer les classes moyennes qui sont déjà les premières victimes de 32 milliards de prélèvements supplémentaires  depuis les 9 mois de présidence de François Hollande.
Fiscaliser les allocations familiales, c’est fragiliser notre politique familiale qui est enviée de la part de toute l’Europe. Avec 2,1 enfants par femme en moyenne, la France est un des rares pays de l’OCDE a assuré le renouvellement des générations !
La politique familiale n’est ni de droite ni de gauche, elle est juste l’expression de la place toute particulière que notre société reconnaît à l’enfant, à tous les enfants.

Humanisme et politique

Les humanistes sont en général pacifistes et cosmopolites. Même quand ils sont au service d'un prince, comme Guillaume Budé, ils font passer leurs impératifs moraux avant les considérations politiques. Érasme, quant à lui, est un temps conseiller de Charles Quint. En 1516, il écrit L'Institution du prince chrétien. Il y loue la notion de bien commun dans un État où le devoir du peuple est mis en parallèle avec celui du prince[5]. Parfois ils envoient des lettres ou dédient leurs ouvrages à un souverain pour essayer d'exercer une influence salutaire sur leurs décisions politiques. Ils proposent volontiers des réformes politiques comme Érasme dans L'Éloge de la Folie en 1511, Thomas More dans l'Utopie en 1515-1516, Rabelais dans Gargantua en 1534. À Florence, tout au long du XVe siècle et même au début du XVIe siècle, les grands humanistes de la ville sont aussi les Chanceliers de la République : Leonardo Bruni, Ange Politien, Nicolas Machiavel...